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Prescription de la procédure disciplinaire et poursuites pénales en fonction publique : changement arrêt 24 juin 2025

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Depuis 2016, l’administration ne peut plus engager une procédure disciplinaire contre un fonctionnaire ou un agent public sans limite de temps. L’action disciplinaire est désormais enfermée dans un délai de trois ans. Se pose alors une question très pratique : à partir de quand commence à courir ce délai, et comment le calculer lorsqu’une procédure pénale est ou a été engagée contre l’agent ?

Par un arrêt important, promis à une large diffusion, le Conseil d’État apporte des réponses précises à ces interrogations (Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 24/06/2025, 476387, publié au recueil Lebon). À partir d’une affaire concernant un enseignant condamné pénalement puis révoqué, la Haute juridiction fixe clairement le point de départ, l’interruption et la reprise de la prescription disciplinaire, ainsi que la date exacte d’engagement de la procédure.

Un délai de trois ans pour engager la procédure disciplinaire

L’article L. 532-2 du code général de la fonction publique, issu de l’article 19 de la loi n° 83‑634 du 13 juillet 1983 dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2016‑483 du 20 avril 2016, pose la règle suivante :

« Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d’un délai de trois ans à compter du jour où l’administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits passibles de sanction. En cas de poursuites pénales exercées à l’encontre du fonctionnaire, ce délai est interrompu jusqu’à la décision définitive (…) ».

Le délai court donc à compter de la connaissance effective des faits par l’administration et, passé trois ans, les faits prescrits ne peuvent plus fonder de sanction disciplinaire.

Lorsque ce délai a été instauré en 2016, se posait la question des faits déjà connus de l’administration à cette date. Le Conseil d’État a jugé que le nouveau délai s’applique aussi aux faits antérieurs, mais en faisant courir les trois ans à compter du 22 avril 2016, date d’entrée en vigueur de la loi (Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 15/10/2021, 444511). L’arrêt du 24 juin 2025 confirme expressément cette solution lorsque l’administration connaissait les faits ou que la décision pénale définitive est intervenue avant le 22 avril 2016 (Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 24/06/2025, 476387).

Poursuites pénales et interruption de la prescription disciplinaire

La difficulté naît lorsque l’agent fait parallèlement l’objet de poursuites pénales. L’article L. 532‑2 prévoit alors que le délai est interrompu jusqu’à la décision pénale “définitive”. L’arrêt du 24 juin 2025 précise ce mécanisme en trois temps :

  1. Qu’est‑ce qu’une décision pénale “définitive” ?

Il s’agit d’une décision devenue irrévocable, c’est‑à‑dire qui n’est plus susceptible d’aucune voie de recours ordinaire (appel, pourvoi en cassation) (Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 24/06/2025, 476387).

  1. À partir de quand le délai recommence‑t‑il à courir ?


En principe, un nouveau délai de trois ans s’ouvre à compter de la date à laquelle le caractère irrévocable de la décision pénale est acquis, sans qu’ait d’incidence la date à laquelle l’administration en a concrètement connaissance.

  1. Et si l’administration découvre les faits grâce à la condamnation pénale ?

Si l’administration n’avait aucune connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits avant la condamnation, le délai de trois ans court alors à compter de la date à laquelle elle est informée de cette décision.

L’administration dispose donc d’un délai complet de trois ans pour apprécier l’opportunité de poursuites disciplinaires, mais elle ne peut plus faire dépendre le point de départ de la prescription de simples flux d’information internes, sauf à démontrer qu’elle ignorait totalement les faits jusqu’alors.

L’affaire du professeur révoqué : une procédure engagée trop tard

L’arrêt du 24 juin 2025 est rendu dans une affaire emblématique. Un professeur certifié, détaché auprès de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, avait été définitivement condamné par un arrêt de cour d’assises en appel le 26 février 2016 à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de violences volontaires avec arme suivies d’une infirmité permanente sur une personne chargée d’une mission de service public (Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 24/06/2025, 476387).

À la suite de cette condamnation, le ministre de l’éducation nationale a engagé une procédure disciplinaire ayant abouti à la révocation de l’agent par arrêté du 23 septembre 2019. Le tribunal administratif de Lille, puis la cour administrative d’appel de Douai, ont annulé cette sanction ; le ministre s’est pourvu en cassation.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi en retenant que la condamnation pénale est devenue irrévocable à l’expiration du délai de pourvoi en cassation, quelques jours après l’arrêt du 26 février 2016, faute de pourvoi. Cette date, antérieure au 22 avril 2016, fait courir le délai de trois ans à compter du 22 avril 2016. L’administration ne démontrait pas qu’elle aurait ignoré jusqu’en juin 2016 la réalité, la nature ou l’ampleur des faits, de sorte qu’elle ne pouvait faire valoir que le délai ne courait qu’à compter de la date à laquelle elle a été informée de l’absence de pourvoi.

Surtout, le Conseil d’État précise que la date d’engagement de la procédure disciplinaire est celle de la notification à l’agent de la décision l’informant de l’ouverture de la procédure, et non la date portée sur le courrier. Or l’enseignant n’a été avisé de cette ouverture que le 4 mai 2019.

Entre le 22 avril 2016 (point de départ retenu) et le 4 mai 2019 (notification de l’engagement des poursuites disciplinaires), plus de trois ans s’étaient écoulés : l’action disciplinaire était donc prescrite, rendant illégale la révocation.

Quels enseignements pratiques pour les agents et les employeurs publics ?

Pour les employeurs publics (État, collectivités, établissements publics), cette jurisprudence impose une vigilance accrue. Dès que des faits susceptibles de sanction sont connus, il convient de dater précisément la “connaissance effective” (enquête interne, signalement, rapport hiérarchique, etc.), de suivre le calendrier des éventuelles poursuites pénales pour identifier la date à laquelle la décision devient irrévocable, et de notifier sans tarder à l’agent l’engagement de la procédure disciplinaire, puisque c’est cette date de notification qui arrête le délai de prescription.

Pour les agents publics, titulaires ou contractuels, l’arrêt du 24 juin 2025 confirme qu’ils peuvent utilement invoquer la prescription de l’action disciplinaire dès lors que plus de trois ans se sont écoulés entre la date de connaissance effective des faits (ou, en cas de poursuites pénales, entre la date de décision pénale définitive) et la date de notification de l’engagement de la procédure, ou, pour des faits connus ou jugés pénalement avant le 22 avril 2016, lorsque la procédure disciplinaire a été engagée plus de trois ans après cette date.

En pratique, toute sanction disciplinaire grave (rétrogradation, mise à la retraite d’office, révocation…) mérite donc un examen attentif du respect du délai de trois ans et des garanties procédurales de l’agent, au premier rang desquelles figurent le droit à communication du dossier et le droit d’être assisté d’un défenseur (article L. 532-4 du code général de la fonction publique).

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