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Concubins : vos créances sont-elles déjà prescrites ?

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Vous vivez en union libre et vous avez financé des travaux dans la maison de votre partenaire ? Vous avez remboursé seul les échéances du crédit immobilier de votre logement indivis ? Vous pensez que les comptes se feront naturellement au moment de la séparation ?

Attention : la Cour de cassation a confirmé sa position le 10 septembre 2025 sur la prescription des créances entre concubins. En effet, contrairement aux couples mariés ou pacsés, le temps joue contre les concubins. Dès que naît une créance civile, le délai de prescription quinquennale commence à courir, sans possibilité de suspension liée à la vie commune.

Nos avocats en droit de la famille décryptent pour vous cet arrêt et ses conséquences immédiates sur votre patrimoine et vos droits patrimoniaux.

L’arrêt du 10 septembre 2025 : fin de l’illusion pour les concubins

Par deux arrêts rendus le 10 septembre 2025 (n°24-10.157 et n°24-12.672), la première chambre civile de la Cour de cassation a mis un terme aux espoirs de nombreux ex-concubins cherchant à obtenir le remboursement de leurs contributions financières.

La question posée était simple : la prescription de 5 ans prévue par l’article 2224 du Code civil pour réclamer une dette est-elle suspendue tant que le couple vit ensemble en concubinage notoire ?

En effet, il est psychologiquement difficile d’assigner son compagnon ou sa compagne en justice pour réclamer de l’argent pendant la vie commune. Beaucoup pensaient donc pouvoir invoquer une « impossibilité morale d’agir« , conformément à l’article 2234 du Code civil, pour stopper le chronomètre de la prescription. Cette impossibilité peut constituer un cas de force majeure suspendant la prescription.

La réponse de la Cour, qui vient confirmer sa jurisprudence constante, même face à ce nouvel argumentaire, est sans appel : Non.

La Cour juge que « le concubinage ne peut, en soi, caractériser l’impossibilité d’agir ». En clair : le simple fait d’être en couple, même avec une relation stable et continue, ne suffit pas à justifier que vous ne pouviez pas réclamer votre argent plus tôt. Les juges considèrent que rien n’empêche juridiquement un concubin d’introduire une action en justice contre son partenaire, même durant la vie commune.

Cette position s’inscrit dans la logique selon laquelle le concubinage, défini par l’article 515-8 du Code civil comme une « union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité », ne crée pas de statut protecteur comparable au mariage ou au PACS.

Une différence majeure entre les types d’union

Cette décision confirme une distinction majeure et dangereuse entre les types d’unions reconnues par le droit français :

Pour les époux et partenaires de PACS

L’article 2236 du Code civil prévoit explicitement que la prescription est suspendue pendant le mariage ou le PACS. Le compteur de 5 ans ne tourne pas pendant cette période. Vous pouvez régler vos comptes 10 ou 20 ans plus tard lors du divorce ou de la dissolution du PACS, sans craindre la forclusion.

Cette règle vise à préserver l’harmonie conjugale et à éviter les contentieux pendant la vie commune. Elle s’applique à toutes les créances entre époux ou partenaires, qu’il s’agisse de dettes ménagères, de contributions aux charges du mariage (article 214 du Code civil), ou de récompenses dues dans le cadre du régime matrimonial.

Pour les concubins

Le compteur tourne dès le premier jour, dès la naissance de la créance. Aucune suspension de prescription n’est prévue. Les concubins sont considérés comme des tiers sur le plan patrimonial, sans protection particulière.

Concrètement, cela signifie quoi ?

Si vous avez financé la rénovation de la toiture de Monsieur en 2019 pour 30 000 € et que vous vous séparez en 2026, votre créance est prescrite. Les 5 ans sont écoulés. Juridiquement, vous ne pouvez plus rien réclamer, même si vous avez les factures, les relevés bancaires et les preuves de virement. L’argent est définitivement perdu, sauf à démontrer un cas rarissime de force majeure (maladie grave, emprisonnement, etc.).

Quelles conséquences pour vos finances et votre patrimoine ?

Les conséquences de cette jurisprudence constante sont lourdes pour la gestion quotidienne des affaires familiales et la protection de vos intérêts patrimoniaux :

1. Les prêts entre concubins et l’enrichissement sans cause

Si vous prêtez de l’argent à votre concubin sans convention de prêt écrite, sans reconnaissance de dette, la prescription commence à courir immédiatement dès l’exigibilité du prêt. Attention : l’article 1353 du Code civil (anciennement 1315) impose à celui qui réclame l’exécution d’une obligation d’en rapporter la preuve écrite au-delà de 1 500 €.

En l’absence de titre, vous pourriez invoquer l’enrichissement sans cause (articles 1303 à 1303-4 du Code civil), mais cette action se heurte également à la prescription quinquennale et nécessite de prouver un appauvrissement corrélatif de votre part.

2. Les travaux et améliorations : attention aux dépenses sur le bien d’autrui

Si vous payez des matériaux, financez des travaux d’amélioration ou de rénovation pour le bien propre de votre partenaire (appartement dont il est seul propriétaire), chaque facture de plus de 5 ans constitue une créance éteinte.

Même si ces dépenses ont augmenté la valeur vénale du bien, vous ne pourrez réclamer ni remboursement, ni indemnisation, ni plus-value après expiration du délai. La théorie de l’accession (article 555 du Code civil) joue en défaveur de celui qui a effectué les travaux sur le bien d’autrui.

Conseil pratique : établissez systématiquement une convention de prêt ou une reconnaissance de créance pour conserver vos droits.

3. Le remboursement du crédit immobilier et les comptes d’indivision

Si vous payez plus que votre part dans le crédit de la maison commune détenue en indivision (article 815 et suivants du Code civil), vous ne pourrez récupérer que les trop-perçus des 5 dernières années lors de la liquidation de l’indivision.

Chaque échéance de prêt payée au-delà de votre quote-part constitue une créance distincte, dont la prescription court à compter de chaque paiement. Au moment du partage, seules les 60 dernières mensualités pourront être prises en compte dans le compte d’indivision.

Stratégie à adopter : demandez régulièrement (tous les 4 ans par exemple) l’établissement d’un compte entre coïndivisaires par acte d’huissier ou par courrier recommandé avec accusé de réception, ce qui interrompt la prescription (article 2241 du Code civil).

4. Les charges du ménage et dépenses courantes

La Cour de cassation refuse d’appliquer la « force majeure » à la crainte de rompre l’harmonie du couple. Elle considère que les concubins sont juridiquement des étrangers l’un pour l’autre et doivent gérer leurs relations financières avec la même rigueur que des partenaires commerciaux.

Contrairement aux époux qui bénéficient d’une solidarité légale pour les dettes ménagères (article 220 du Code civil), les concubins n’ont aucune obligation réciproque de contribution aux charges communes, sauf accord exprès ou existence d’une société créée de fait.

Les solutions pour protéger vos droits patrimoniaux

Face à cette jurisprudence sévère, plusieurs stratégies s’offrent à vous pour sécuriser vos intérêts :

La convention de concubinage

Rédigée par un avocat ou un notaire, elle permet de définir les règles de contribution aux charges, la répartition des dépenses, les modalités de remboursement en cas de séparation. C’est un contrat soumis au droit commun des obligations.

La reconnaissance de dette ou le prêt formalisé

Pour tout versement d’argent significatif, établissez une reconnaissance de dette authentique (devant notaire) ou sous seing privé enregistrée, mentionnant le montant, la date, les modalités de remboursement. Cela constitue un titre exécutoire potentiel et une preuve irréfutable.

L’interruption régulière de la prescription

Envoyez tous les 4 ans un courrier recommandé avec AR récapitulant les sommes dues, ou faites établir un commandement de payer par huissier. Ces actes interrompent la prescription et font repartir un nouveau délai de 5 ans (article 2241 du Code civil).

Vous pouvez également obtenir une reconnaissance de dette de votre concubin, qui interrompt également la prescription.

La société créée de fait

Si vous gérez ensemble un patrimoine commun avec une volonté de partager les bénéfices et les pertes, vous pourriez constituer une société créée de fait (ou société de fait). Sa liquidation obéit à des règles spécifiques et échappe partiellement à la prescription quinquennale classique. Un avocat spécialisé peut analyser si votre situation correspond à ce cadre.

Le PACS ou le mariage

Ces statuts offrent une protection juridique bien supérieure, avec suspension de la prescription pendant l’union, règles de liquidation claires, et droits successoraux pour le partenaire survivant.

Bon à savoir : l’exception des travaux sur bien indivis

Point crucial : si vous avez effectué vous-mêmes des travaux sur un bien détenu en indivision, vous pouvez faire valoir une créance contre l’indivision elle-même (et non contre votre ex-concubin personnellement), qui n’est pas enfermée dans cette prescription de 5 années.

En effet, selon la jurisprudence, les impenses (dépenses faites pour la conservation ou l’amélioration d’un bien indivis) donnent lieu à indemnisation lors du partage de l’indivision, sans limitation dans le temps tant que l’indivision perdure. L’article 815-13 du Code civil organise le remboursement des dépenses faites par un indivisaire.

Cette exception ne vaut toutefois que si le bien est réellement indivis (propriété commune avec quotes-parts définies), et non si vous avez simplement financé des travaux sur le bien propre de votre partenaire.

Anticipez pour ne pas tout perdre

La prescription des créances entre concubins est un piège juridique que beaucoup découvrent trop tard. Contrairement au mariage et au PACS, le concubinage n’offre aucune protection automatique. Vos droits patrimoniaux s’éteignent silencieusement au fil des années.

Les règles à retenir :

  • Délai de prescription : 5 ans à compter de la naissance de la créance
  • Aucune suspension pendant la vie commune
  • Interruption possible par reconnaissance de dette, mise en demeure, assignation
  • Preuve écrite obligatoire au-delà de 1 500 €
  • Exception pour l’indivision : les impenses peuvent être réclamées au moment du partage

Nos avocats experts en droit de la famille et des successions, se tiennent à votre disposition pour répondre à toutes vos questions et vous conseiller. Nos entretiens peuvent se tenir en présentiel ou en visio-conférence. Vous pouvez prendre rendez-vous directement en ligne sur www.agn-avocats.fr.

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