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Prolongation d’activité au‑delà de la limite d’âge : un atout pour la retraite, même si l’autorisation arrive en retard

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Le Conseil d’État confirme qu’un fonctionnaire ayant demandé sa prolongation d’activité avant la limite d’âge peut faire prendre en compte cette période dans sa pension, même si l’autorisation formelle est délivrée plus tard (Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 17 octobre 2025, n° 497247).

Limite d’âge, carrière incomplète et prolongation d’activité : de quoi parle‑t‑on ?

Dans la fonction publique de l’État, la règle de base est simple : arrivé à la limite d’âge, le fonctionnaire est mis à la retraite et le lien avec le service est rompu. C’est ce que rappelle l’article 68 de la loi du 11 janvier 1984 : « Les fonctionnaires ne peuvent être maintenus en fonctions au-delà de la limite d’âge de leur emploi sous réserve des exceptions prévues par les textes en vigueur ».

Cette limite d’âge déclenche la cessation automatique des fonctions, sauf si un texte prévoit expressément une prolongation. Parmi ces exceptions figure le mécanisme de prolongation d’activité pour les agents ayant une carrière incomplète, c’est‑à‑dire dont la durée des services liquidables est inférieure à celle exigée pour une pension à taux plein.

L’article 1‑1 de la loi n° 84‑834 du 13 septembre 1984, désormais codifié à l’article L. 556‑5 du code général de la fonction publique, permet à ces fonctionnaires, sur leur demande, sous réserve de l’intérêt du service et de leur aptitude physique, d’être maintenus en activité au‑delà de la limite d’âge. Cette prolongation :

  • Ne peut pas dépasser la durée des services nécessaires pour obtenir une pension à taux plein au sens de l’article L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite ;
  • Est plafonnée à dix trimestres ;
  • Est expressément « prise en compte au titre de la constitution et de la liquidation du droit à pension ».

L’article L. 10 du code des pensions civiles et militaires de retraite complète ce dispositif en prévoyant que « les services accomplis postérieurement à la limite d’âge dans les conditions prévues par la loi sont pris en compte dans la pension ».

En théorie donc, lorsqu’un agent a obtenu une prolongation d’activité régulière, les services accomplis après la limite d’âge doivent augmenter le montant de sa pension. La difficulté naît lorsque l’autorisation de prolongation est délivrée tardivement, alors même que l’agent a déjà continué à travailler. C’est exactement la situation jugée dans l’affaire commentée.

L’affaire Mme B. : une prolongation d’activité ignorée dans le calcul de la pension

Mme B., greffière à la cour d’appel d’Amiens, a continué à exercer ses fonctions du 5 mai 2019 au 30 avril 2020, après avoir atteint la limite d’âge. Elle avait demandé, avant cette limite, le bénéfice de la prolongation d’activité prévue par la loi du 13 septembre 1984.

Par un courrier du 10 janvier 2020, la première présidente de la cour d’appel d’Amiens et la procureure générale près cette cour ont fait droit à sa demande et l’ont autorisée à poursuivre son activité jusqu’au 30 avril 2020. Mme B. a effectivement travaillé de manière continue jusqu’à cette date, avant d’être admise à faire valoir ses droits à la retraite.

Pourtant, l’arrêté du 9 mars 2020 lui concédant un titre de pension n’a pas pris en compte cette période du 5 mai 2019 au 30 avril 2020. Le ministre de l’action et des comptes publics a ensuite rejeté ses demandes de révision, par décisions des 22 septembre 2020 et 19 avril 2021.

Un premier jugement du tribunal administratif de Clermont‑Ferrand avait donné raison à Mme B. et ordonné la prise en compte de cette période (tribunal administratif de Clermont‑Ferrand, 15 décembre 2022, n° 2002272 et 2101288). Mais ce jugement a été annulé par le Conseil d’État (Conseil d’État, 14 décembre 2023, n° 471202), qui a renvoyé l’affaire devant le même tribunal. Par un second jugement, du 28 juin 2024, le tribunal administratif a cette fois rejeté la demande de l’intéressée (tribunal administratif de Clermont‑Ferrand, 28 juin 2024, n° 2302872).

Mme B. s’est pourvue en cassation contre ce second jugement. C’est dans ce cadre que le Conseil d’État, saisi pour la deuxième fois de la même affaire, statue définitivement en application de l’article L. 821‑2 du code de justice administrative (Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 17 octobre 2025, n° 497247).

La solution du Conseil d’État : la pension doit suivre la décision de carrière, même illégale et même tardive

Le Conseil d’État commence par rappeler un principe constant : l’autorité chargée de la liquidation des droits à pension doit tirer les conséquences d’une décision relative à la carrière d’un agent, même illégale, tant que cette décision n’a pas été retirée ou annulée.

Elle ne peut s’en écarter que dans des hypothèses strictement encadrées :

  • Lorsque la décision revêt le caractère d’un acte inexistant ;
  • Lorsqu’il s’agit d’une reconstitution de carrière fictive intervenue à titre purement gracieux ;
  • Ou lorsque cette décision aurait pour effet de maintenir l’agent en prolongation d’activité au‑delà de la durée des services liquidables définie à l’article L. 13 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

Dans l’affaire Mme B., aucune de ces exceptions n’était caractérisée : l’autorisation de prolongation d’activité résultant du courrier du 10 janvier 2020 correspondait à une situation professionnelle réellement exercée et ne conduisait pas à dépasser les plafonds légaux.

Le Conseil d’État juge alors que le seul fait que l’autorisation formelle soit intervenue après la limite d’âge ne peut, à lui seul, justifier l’exclusion de la période travaillée du calcul de la pension. Il précise expressément que, lorsque l’agent a demandé la prolongation avant la limite d’âge, la circonstance que la décision d’autorisation soit postérieure à cette limite ne saurait priver d’effet la prolongation pour la retraite.

En censurant le tribunal administratif de Clermont‑Ferrand, qui avait exigé que l’autorisation intervienne avant la rupture du lien avec le service pour être prise en compte, le Conseil d’État qualifie cette exigence d’erreur de droit.

Cette solution s’inscrit dans la droite ligne de la décision rendue quelques mois plus tôt dans une autre affaire de prolongation d’activité : le Conseil d’État avait déjà jugé qu’il convient de prendre en compte la demande de prolongation présentée avant la limite d’âge, et non la date d’obtention de l’autorisation, pour apprécier la légalité du refus de prolongation (Conseil d’État, 6 mars 2025, n° 492596, Ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique c/ Mme Pralong). La décision du 17 octobre 2025 transpose clairement cette logique au calcul des droits à pension.

Un règlement au fond favorable à l’agent et riche d’enseignements pratiques

Saisi d’un second pourvoi, le Conseil d’État ne se contente pas d’annuler le jugement : il règle lui‑même l’affaire au fond, en application de l’article L. 821‑2 du code de justice administrative.

Il constate que :

  • Mme B. a demandé la prolongation d’activité avant la survenance de sa limite d’âge ;
  • l’administration doit être regardée comme ayant fait droit à cette demande par le courrier du 10 janvier 2020 ;
  • l’intéressée a effectivement travaillé jusqu’au 30 avril 2020, date de sa mise à la retraite.

Dans ces conditions, il incombe au ministre de l’action et des comptes publics de tirer toutes les conséquences de cette prolongation sur les droits à pension de l’intéressée. Le Conseil d’État annule donc les décisions des 22 septembre 2020 et 19 avril 2021, enjoint au ministre de réviser le titre de pension de Mme B. pour y intégrer la période du 5 mai 2019 au 30 avril 2020, et reconnaît expressément le droit de l’intéressée à une pension recalculée en tenant compte de cette prolongation (Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 17 octobre 2025, n° 497247).

Ce qu’il faut retenir si vous êtes fonctionnaire en fin de carrière

Pour les agents publics, plusieurs enseignements concrets se dégagent de cette décision :

  • Si votre carrière est incomplète, vous pouvez demander une prolongation d’activité sur le fondement de l’article 1‑1 de la loi du 13 septembre 1984 (article L. 556‑5 du CGFP).
  • Cette demande doit être présentée avant la limite d’âge applicable à votre corps. Conservez précieusement la preuve écrite de cette demande (courrier recommandé, formulaire, courriel officiel).
  • Même si l’autorisation formelle arrive tard, voire après la date de limite d’âge, les services effectivement accomplis dans le cadre de cette prolongation doivent, sauf cas très particuliers (acte inexistant, carrière fictive ou dépassement des maxima légaux), être pris en compte dans le calcul de votre pension.
  • Si votre titre de pension ne prend pas en compte une période de prolongation d’activité, un recours en révision de pension, puis, en cas de rejet, un recours devant le tribunal administratif, sont possibles. La décision du Conseil d’État du 17 octobre 2025 offre un fondement solide à ce type de contestation.

Se faire accompagner pour sécuriser sa fin de carrière et sa retraite

Les règles relatives à la limite d’âge, à la prolongation d’activité et au calcul des pensions dans la fonction publique sont techniques, évolutives et souvent mal maîtrisées, y compris par l’administration. L’affaire de Mme B. montre qu’un agent peut devoir engager plusieurs procédures successives (devant le tribunal administratif puis le Conseil d’État) pour faire reconnaître ses droits.

En pratique, il est conseillé, dès la préparation de la fin de carrière :

  • d’anticiper la date de la limite d’âge ;
  • de faire le point sur la durée des services liquidables ;
  • de se faire assister pour formuler, dans les délais et formes utiles, une demande de prolongation d’activité adaptée à sa situation ;
  • de vérifier attentivement le titre de pension notifié et, le cas échéant, d’exercer les recours nécessaires.

Les avocats intervenant en droit de la fonction publique au sein d’AGN Avocats peuvent accompagner les fonctionnaires et agents publics dans la préparation de leur fin de carrière, la sécurisation de leur prolongation d’activité et la contestation d’un titre de pension qui ne respecterait pas leurs droits, à l’image de ceux consacrés par le Conseil d’État dans sa décision du 17 octobre 2025 (Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 17 octobre 2025, n° 497247).

Nos avocats experts en droit de la fonction publique, se tiennent à votre disposition pour répondre à toutes vos questions, vous conseiller et vous accompagner. Vous pouvez prendre rendez-vous directement en ligne sur www.agn-avocats.fr.

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