Lorsqu’un agent public obtient l’annulation de son licenciement, la question suivante surgit immédiatement : que peut‑il réellement obtenir en pratique ? Des salaires ? Une reconstitution de carrière ? Des droits à retraite ?
L’arrêt rendu par le Conseil d’État le 21 juillet 2025 dans l’affaire de l’EHPAD « Les Marronniers » (Conseil d’État, 5ème chambre, 21/07/2025, n° 489372) apporte des précisions importantes, notamment pour les agents qui se sont reconvertis après leur éviction et pour ceux qui souhaitent faire reconstituer leurs droits sociaux.
L’affaire « Les Marronniers » : une aide médico‑psychologique licenciée à tort
Mme A…, aide médico‑psychologique en CDI dans un EHPAD public, est licenciée pour motif disciplinaire par décision du 22 juillet 2014. Ce licenciement est ensuite annulé par le tribunal administratif de Cergy‑Pontoise le 23 mai 2017, jugement confirmé par la cour administrative d’appel de Versailles le 10 avril 2019 (jugement et arrêt passés en force de chose jugée).
Pourtant, malgré cette annulation, l’établissement ne la réintègre pas. L’agent saisit alors le juge d’une demande indemnitaire, chiffrée notamment au titre :
- de la perte de rémunération liée à l’éviction ;
- de la reconstitution de ses droits sociaux, en particulier de ses droits à pension de retraite.
Le tribunal administratif rejette sa demande. La cour administrative d’appel de Versailles ne lui accorde qu’une somme globale de 1 000 €, intérêts compris, et refuse d’indemniser la perte de revenus au motif qu’il n’existerait pas de lien de causalité direct entre la faute (le licenciement illégal) et la perte de rémunération, dès lors que l’intéressée n’a pas demandé sa réintégration et s’est rapidement reconvertie comme infirmière libérale.
Le Conseil d’État casse partiellement cet arrêt, uniquement en ce qu’il statue sur les pertes de rémunération, et renvoie l’affaire à la cour (Conseil d’État, 5ème chambre, 21/07/2025, n° 489372). En revanche, il valide l’analyse de la cour sur la question des droits à pension.
Rappel du principe : l’agent irrégulièrement évincé a droit à une réparation intégrale
Le Conseil d’État commence par rappeler un principe désormais classique : l’agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice effectivement subi du fait de la mesure illégale (Conseil d’État, Section, 06/12/2013, n° 365155, Commune d’Ajaccio ; Conseil d’État, 3ème et 8ème chambres réunies, 20/03/2017, n° 393761).
Ce principe implique notamment :
- l’indemnisation de la perte de traitement ;
- l’indemnisation de la perte des primes et indemnités que l’agent avait une chance sérieuse de percevoir, sauf celles qui compensent uniquement des frais ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions (Conseil d’État, Section, 06/12/2013, n° 365155, Commune d’Ajaccio) ;
- la déduction des rémunérations nettes et allocations chômage perçues pendant la période d’éviction (Conseil d’État, 3ème et 8ème chambres réunies, 20/03/2017, n° 393761 ; plus récemment, Conseil d’État, 7ème et 2ème chambres réunies, 24/04/2024, n° 476373).
Le juge administratif de plein contentieux fixe ainsi une indemnité globale “pour solde de tout compte”, en tenant compte de plusieurs paramètres :
- nature et gravité de l’illégalité ;
- ancienneté de l’agent, niveau de rémunération ;
- fautes éventuelles commises par l’agent lui‑même (Conseil d’État, 5ème chambre, 21/07/2025, n° 489372, point 2).
Ce cadre de principe est ancien et s’inscrit dans la logique de l’effet rétroactif de l’annulation d’une décision illégale, déjà affirmé dans la jurisprudence « Rodière » (Conseil d’État, 26/12/1925, n° 88369).
Reconversion professionnelle et absence de demande de réintégration : un faux problème
Le cœur de l’apport de l’arrêt « Les Marronniers » réside dans la réponse à la question suivante : un agent qui se reconvertit et ne demande pas à être réintégré peut‑il encore obtenir l’indemnisation de ses pertes de salaires ?
La cour administrative d’appel avait répondu non, estimant que :
- l’agent n’avait pas demandé sa réintégration ;
- elle avait rapidement entamé une reconversion comme infirmière libérale ;
et en déduisant de ces éléments l’absence de lien de causalité direct entre la faute de l’administration (le licenciement illégal) et la perte de rémunération.
Le Conseil d’État censure clairement ce raisonnement : la cour « a commis une erreur de droit » en refusant l’indemnisation sur ce fondement (Conseil d’État, 5ème chambre, 21/07/2025, n° 489372, point 3).
Concrètement, cela signifie que :
- le lien de causalité entre le licenciement illégal et la perte de revenus reste établi du seul fait de l’éviction irrégulière ;
- le fait que l’agent n’ait pas sollicité sa réintégration n’efface pas ce lien ;
- la reconversion professionnelle n’éteint pas non plus le droit à indemnisation : elle peut tout au plus jouer sur le montant de l’indemnité, via la déduction des nouvelles rémunérations.
Cette position prolonge la logique des décisions précédentes qui admettent l’indemnisation d’autres préjudices liés à l’éviction, comme la réduction des droits à indemnisation chômage (Conseil d’État, 3ème et 8ème chambres réunies, 20/03/2017, n° 393761).
Pour les agents publics, l’enseignement est majeur :
Vous n’êtes pas obligé de rester “en attente” de votre administration pour préserver vos droits à indemnisation.
Vous pouvez reconstruire votre carrière ailleurs, tout en demandant la réparation du préjudice financier causé par le licenciement illégal.
Et les droits à retraite ? Une question d’exécution du jugement d’annulation
Sur le volet des droits à pension de retraite, la solution est différente.
Le Conseil d’État rappelle d’abord que l’annulation d’un licenciement illégal implique, au titre de la reconstitution de la carrière, la reconstitution des droits sociaux, notamment des droits à pension que l’agent aurait acquis en l’absence d’éviction (Conseil d’État, 5ème chambre, 21/07/2025, n° 489372, point 4).
Cette logique s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence relative à la reconstitution de carrière et à l’affiliation aux régimes de retraite, par exemple à propos de la CNRACL (Conseil d’État, 3ème et 5ème sous‑sections réunies, 25/02/1998, n° 158661 et 158662, Commune de Brives‑Charensac).
Cependant, le Conseil d’État précise ensuite que la demande de reconstitution des droits à pension relève non pas du même contentieux indemnitaire, mais de la procédure d’exécution du jugement d’annulation, organisée par l’article L. 911‑4 du code de justice administrative.
Dans l’affaire « Les Marronniers », Mme A… demandait la reconstitution de ses droits sociaux, « en particulier de ses droits à pension de retraite qu’elle aurait acquis en l’absence d’éviction illégale ». La cour administrative d’appel a interprété ces écritures comme tendant à ce que l’EHPAD prenne les mesures d’exécution du jugement d’annulation de 2017 et a estimé qu’il s’agissait d’un litige distinct, devant être traité via la procédure de l’article L. 911‑4 CJA. Le Conseil d’État valide cette analyse et confirme l’irrecevabilité des conclusions tendant au versement de cotisations dans le cadre de la requête indemnitaire (Conseil d’État, 5ème chambre, 21/07/2025, n° 489372, points 5 et 6).
Schématiquement :
- Pertes de rémunération : relèvent du recours indemnitaire de plein contentieux ;
- Reconstitution des droits à pension (affiliation, versement de cotisations, validation de services) : relèvent d’une demande d’exécution du jugement d’annulation sur le fondement de l’article L. 911‑4 CJA.
Cette distinction complète utilement la jurisprudence sur la fin de la reconstitution de carrière en cas de départ à la retraite : lorsque l’agent a été admis à la retraite, l’obligation de reconstitution de carrière s’arrête à cette date, la réintégration effective devenant impossible ; l’agent conserve toutefois la possibilité de demander réparation du préjudice lié à une mise à la retraite anticipée et à la liquidation de sa pension (Conseil d’État, 7ème et 2ème sous‑sections réunies, 23/12/2011, n° 347178, CCI de Nîmes‑Bagnols‑Uzès‑Le Vigan).
En pratique : que faire si votre licenciement a été annulé ?
Pour un agent public dont le licenciement a été annulé, l’arrêt « Les Marronniers » invite à structurer la stratégie contentieuse en deux volets :
- Pour les pertes de rémunération et autres préjudices financiers ou moraux :
- introduire un recours indemnitaire de plein contentieux contre l’administration responsable ;
- chiffrer les pertes de traitement, primes, indemnités, droits à chômage perdus, etc., en justifiant de la réalité des préjudices (jurisprudence Commune d’Ajaccio, Conseil d’État, Section, 06/12/2013, n° 365155 ; Conseil d’État, 3ème et 8ème chambres réunies, 20/03/2017, n° 393761 ; Conseil d’État, 7ème et 2ème chambres réunies, 24/04/2024, n° 476373) ;
- produire les justificatifs des rémunérations perçues après l’éviction, qui devront être déduites.
- Pour la reconstitution des droits à retraite et autres droits sociaux :
- demander à l’administration, sur le fondement de la décision d’annulation, de reconstituer la carrière et de régler les cotisations de retraite ;
- en cas d’inertie ou de refus, saisir le juge d’une demande d’exécution sur le fondement de l’article L. 911‑4 CJA, afin qu’il ordonne les mesures nécessaires (logique déjà retenue à propos de l’affiliation à la CNRACL : Conseil d’État, 3ème et 5ème sous‑sections réunies, 25/02/1998, n° 158661 et 158662, Commune de Brives‑Charensac).
- Ne pas renoncer à ses droits en se reconvertissant :
- une reconversion professionnelle ou l’absence de demande de réintégration ne privent pas l’agent de son droit à indemnisation des pertes de rémunération ;
- elles peuvent, en revanche, avoir un impact sur le calcul de l’indemnité (par la déduction des nouveaux revenus).
Vous êtes agent public (fonction publique d’État, territoriale, hospitalière ou agent d’un établissement public comme un EHPAD) et vous avez été licencié ou évincé de manière illégale ? Vous avez obtenu – ou espérez obtenir – l’annulation de cette décision et vous vous interrogez sur vos droits à indemnisation et à retraite ?
Les questions de réparation intégrale, de reconstitution de carrière, de droits à pension et de stratégie procédurale (recours indemnitaire, recours en exécution de l’article L. 911‑4 CJA) sont techniques et fortement dépendantes de votre situation personnelle (type de contrat, statut, âge, reconversion, etc.).
Nos avocats experts en droit de la fonction publique, se tiennent à votre disposition pour répondre à toutes vos questions, vous conseiller et vous accompagner. Vous pouvez prendre rendez-vous directement en ligne sur www.agn-avocats.fr.
AGN AVOCATS – Pôle Fonction Publique
contact@agn-avocats.fr
09 72 34 24 72
- Actualités
- Assurance & Responsabilité
- Contentieux & résolution des litiges
- Droit Administratif et Public
- Droit Contrats & Distribution
- Droit de la Famille
- Droit des Affaires
- Droit du Sport
- Droit du Travail
- Droit Forestier
- Droit Pénal
- Droits spécifiques
- Dubaï
- Fiscalité
- Français à l'étranger
- Immigration
- Immobilier
- Les Quiz AGN
- Propriété intellectuelle et droit du numérique
- Recouvrement de créances et impayés
- Succession