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Harcèlement moral et manquements déontologiques à l’hôpital : l’enseignement de la décision du Conseil d’État du 19 août 2025

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Un chef de service hospitalo‑universitaire peut‑il, au nom de l’exigence pédagogique, instaurer un climat de peur et multiplier les remarques humiliantes envers les internes et étudiants sans engager sa responsabilité disciplinaire ?

C’est à cette question qu’a répondu le Conseil d’État dans une affaire concernant un professeur des universités‑praticien hospitalier (PU‑PH) du CHU de Brest (Conseil d’État, 5ème chambre, 19/08/2025, 497327, inédit au recueil Lebon). Saisi par la ministre du travail, de la santé et des solidarités, il annule la décision de la juridiction disciplinaire compétente pour les enseignants et hospitaliers qui avait rejeté la plainte, jugeant que les faits constituaient bien un manquement déontologique.

Un socle de textes : dignité, harcèlement moral et compagnonnage

Depuis la création du Code général de la fonction publique (CGFP), l’obligation de dignité irrigue l’ensemble des fonctions publiques : l’article L.121‑1 dispose que l’agent public exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. Cette exigence vaut pour les praticiens hospitaliers comme pour tout encadrant public.

La protection contre le harcèlement moral est posée par l’article L.133‑2 du CGFP, qui prohibe les agissements répétés entraînant une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits ou à la santé de l’agent ou de compromettre son avenir professionnel.

Le Conseil d’État a, sur ce fondement, construit une méthode probatoire aujourd’hui classique : l’agent qui se dit victime doit présenter des éléments de fait de nature à faire présumer l’existence d’un harcèlement ; l’administration doit démontrer que ses décisions et comportements sont étrangers à tout harcèlement ; le juge forme sa conviction au vu de cet échange contradictoire (Conseil d’État, Section du contentieux, 11/07/2011, 321225). Cette grille de lecture est régulièrement reprise, notamment pour des cadres de l’État (Conseil d’État, 7ème chambre, 10/04/2025, 499366).

Dans le secteur de la santé, ces règles statutaires se superposent au code de déontologie médicale. L’article R.4127‑56 du code de la santé publique impose des rapports de bonne confraternité entre médecins. L’article R.4127‑68‑1 précise que le médecin partage ses connaissances et son expérience avec les étudiants et internes « dans un esprit de compagnonnage, de considération et de respect mutuel ». L’encadrement des étudiants en médecine doit donc se faire dans une relation de respect, à rebours d’une culture de « bizutage » ou d’humiliation.

Une enquête interne solide, des faits de management toxique

Dans la présente affaire, les ministres de la santé et de l’enseignement supérieur saisissent la juridiction disciplinaire prévue à l’article L.952‑22 du code de l’éducation à la suite d’une enquête interne conduite au CHU de Brest (Conseil d’État, 5ème chambre, 19/08/2025, 497327).

La commission d’enquête administrative, instituée par la directrice générale du CHU et le président de la commission médicale d’établissement, réalise trente‑huit témoignages écrits et quatre‑vingt‑trois entretiens individuels, incluant l’intéressé et plusieurs soutiens. Son rapport met en évidence :

  • des dysfonctionnements graves et répétés générant un climat de stress intense et de peur au quotidien, excédant manifestement les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique ;
  • des propos dévalorisants et humiliants envers plusieurs étudiants, accompagnés de critiques virulentes et répétées sur la qualité de leur travail.

Pourtant, la juridiction disciplinaire rejette la plainte, estimant que les témoignages sont souvent indirects ou peu circonstanciés et relevant qu’une partie d’entre eux décrit un comportement sévère mais pédagogiquement orienté, relevant selon elle de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

La position du Conseil d’État : des manquements déontologiques caractérisés

Le Conseil d’État commence par écarter les moyens de procédure soulevés par le professeur : le dépôt du pourvoi par la ministre compétente relève des « affaires courantes » d’un gouvernement démissionnaire et, en vertu de l’article R.432‑4 du code de justice administrative, un seul des ministres intéressés peut introduire le recours au nom de l’État.

Sur le fond, la Haute juridiction reprend les constatations de la commission d’enquête pour affirmer qu’en dénigrant de manière répétée plusieurs étudiants et en exerçant une pression excessive et injustifiée contribuant à dégrader le climat de travail, le PU‑PH a commis un manquement aux obligations déontologiques des médecins, au sens combiné des articles L.121‑1 et L.133‑2 du CGFP et des articles R.4127‑56 et R.4127‑68‑1 du code de la santé publique (Conseil d’État, 5ème chambre, 19/08/2025, 497327).

La juridiction disciplinaire, en minimisant ces faits au motif de témoignages divergents et en les requalifiant en simple sévérité pédagogique, a commis une erreur de qualification juridique. Sa décision est annulée et l’affaire lui est renvoyée.

L’apport de l’arrêt est clair : des pratiques de management toxique, même sans sanction formelle, peuvent suffire à caractériser un manquement disciplinaire, et le Conseil d’État contrôle de près l’appréciation des faits des juridictions disciplinaires spécialisées lorsqu’une enquête interne sérieuse met au jour un climat de travail délétère.

Conséquences pratiques pour les hôpitaux, les universités et les personnels médicaux

Pour les établissements (CHU, universités, facultés)

L’arrêt incite les employeurs publics à traiter avec sérieux les alertes en matière de harcèlement moral :

  • mise en place d’enquêtes internes structurées (témoignages, auditions contradictoires, analyse des impacts sur le fonctionnement du service) ;
  • traçabilité des démarches et rédaction d’un rapport de synthèse précis.

Pour les médecins encadrants, maîtres de stage et PU‑PH

La décision rappelle que l’autorité hiérarchique et la liberté pédagogique ont des limites claires. Sont légitimes les exigences de rigueur et les critiques argumentées. En revanche, exposent à un risque disciplinaire :

  • les humiliations publiques ou répétées ;
  • la pression constante créant un climat de peur ;
  • la dévalorisation systématique d’un interne ou d’un étudiant.

Ces comportements sont susceptibles de constituer à la fois un manquement à l’obligation de dignité, une atteinte aux règles de compagnonnage et, selon les cas, un harcèlement moral au sens du CGFP.

Pour les agents, internes et étudiants qui s’estiment victimes

La décision du 19 août 2025 confirme l’intérêt :

  • de documenter les faits (mails, notes, comptes‑rendus, certificats médicaux, etc.) ;
  • de solliciter les dispositifs internes (référent harcèlement, médecine du travail, ressources humaines, doyenné) ;
  • de se faire assister par un avocat pour présenter des éléments de fait structurés, conformément à la méthode probatoire dégagée par le Conseil d’État en matière de harcèlement moral (Conseil d’État, Section du contentieux, 11/07/2011, 321225 ; Conseil d’État, 7ème chambre, 10/04/2025, 499366).

Vous êtes médecin hospitalier, enseignant‑chercheur, interne ou étudiant en santé et vous êtes confronté à une situation de harcèlement ou de management abusif au sein d’un hôpital ou d’une faculté de médecine ?

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