La mise à la retraite d’office pour invalidité compte parmi les décisions les plus lourdes de conséquences dans la carrière d’un fonctionnaire territorial. Elle met fin définitivement au lien statutaire et fixe durablement le niveau de pension de l’agent. Dans un tel contexte, le respect du contradictoire conditionne directement la légalité de la décision.
Par un arrêt du 26 septembre 2025 (Conseil d’État, 3ème et 8ème chambres réunies, 26/09/2025, 488244), le Conseil d’État juge que le délai de dix jours laissé au fonctionnaire pour consulter son dossier avant la réunion de la commission de réforme (aujourd’hui conseil médical) constitue une véritable garantie. S’il n’est pas respecté, la consultation de la commission est viciée et la mise à la retraite pour invalidité encourt l’annulation.
Retraite pour invalidité : un régime juridiquement balisé
Pour les fonctionnaires territoriaux affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), la retraite pour invalidité est régie par le décret n° 2003‑1306 du 26 décembre 2003. Son article 30 vise le fonctionnaire « qui se trouve dans l’impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions par suite de maladie, blessure ou infirmité grave dûment établie », pouvant être admis à la retraite, d’office ou sur demande.
L’article 31 du même décret impose la consultation d’une commission de réforme départementale, chargée d’apprécier l’incapacité permanente, avant que l’autorité territoriale ne se prononce, sous réserve de l’avis conforme de la CNRACL. La mise à la retraite d’office pour invalidité est donc encadrée par une procédure médico‑administrative structurée, et non laissée à la seule appréciation de l’employeur.
Pour les situations antérieures à la réforme des instances médicales intervenue en 2022, le fonctionnement de la commission de réforme reste régi par l’arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, au cœur de la décision commentée.
Le délai de dix jours pour consulter son dossier : une garantie de contradictoire
L’arrêté du 4 août 2004 distingue deux temps :
- la convocation de la commission et de l’agent, au moins quinze jours avant la séance (art. 14) ;
- l’invitation adressée au fonctionnaire, dix jours au moins avant la réunion, à prendre connaissance de son dossier, présenter des observations écrites, fournir des certificats médicaux et se faire assister (art. 16).
Dans son arrêt du 26 septembre 2025, le Conseil d’État précise que ce délai de dix jours a pour objet de permettre à l’agent de préparer utilement son intervention et d’assurer le caractère contradictoire de la procédure. Il en déduit que la méconnaissance de ce délai a pour effet de vicier la consultation de la commission de réforme.
Il ne suffit donc pas de convoquer l’agent : l’employeur doit être en mesure de démontrer qu’il a été informé, dans le délai requis, de son droit à consulter le dossier et de la possibilité de produire des éléments complémentaires. À défaut, l’avis de la commission repose sur une procédure irrégulière et ne peut fonder légalement une mise à la retraite d’office.
L’affaire Cœur du Var : une procédure irrégulière, une retraite annulée
Dans l’affaire jugée en 2025, un adjoint technique territorial principal de 2ème classe avait été admis d’office à la retraite pour invalidité à compter du 1er février 2021 par un arrêté du président de la communauté de communes Cœur du Var. Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Toulon a annulé cet arrêté et enjoint sa réintégration avec reconstitution de carrière ; la cour administrative d’appel de Marseille a confirmé ce jugement.
Devant le Conseil d’État, la collectivité soutenait que la procédure devant la commission de réforme avait été régulièrement menée. Mais les juges d’appel avaient constaté qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que le courrier informant l’agent de son droit à consulter son dossier lui avait été effectivement notifié, ni qu’il avait été avisé par une autre voie, au moins dix jours avant la réunion, de cette possibilité.
Le Conseil d’État juge que cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond et n’est pas entachée de dénaturation. Il confirme surtout que le délai de dix jours est une garantie pour l’agent : sa méconnaissance l’a privé du caractère contradictoire de la procédure. Dès lors, l’irrégularité affectant la consultation de la commission de réforme rend illégale la décision de mise à la retraite d’office pour invalidité, et le pourvoi de la collectivité est rejeté (Conseil d’État, 3ème et 8ème chambres réunies, 26/09/2025, 488244).
Une mise en œuvre claire de la jurisprudence Danthony
Depuis l’arrêt Danthony (Conseil d’État, Assemblée, 23/12/2011, 335033), un vice de procédure n’entraîne l’annulation d’une décision administrative que s’il a été susceptible d’en influencer le sens ou s’il a privé l’intéressé d’une garantie.
L’arrêt du 26 septembre 2025 en est une illustration directe : le Conseil d’État reprend ce considérant, puis qualifie le délai de dix jours prévu à l’article 16 de l’arrêté du 4 août 2004 de « garantie ». On n’est donc pas face à un simple formalisme : le respect de ce délai conditionne l’exercice effectif des droits de l’agent.
La solution rejoint celle retenue en matière disciplinaire : le Conseil d’État a ainsi jugé que le délai de quinze jours entre la convocation d’un fonctionnaire hospitalier au conseil de discipline et la réunion de ce conseil est une garantie lui permettant de préparer sa défense, dont la méconnaissance vicie la consultation du conseil (Conseil d’État, 5ème et 6ème chambres réunies, 24/07/2019, 416818).
Conséquences pratiques pour employeurs et agents
Pour les employeurs publics, cet arrêt impose plusieurs réflexes de sécurisation :
- prévoir un calendrier réaliste de saisine de la commission de réforme, intégrant les quinze jours de convocation et les dix jours de consultation du dossier ;
- notifier l’invitation à consulter le dossier par un moyen permettant de prouver la date de réception ;
- rappeler explicitement, dans ce courrier, les droits de l’agent (consultation, production de pièces, assistance).
Pour les agents, la décision fournit des points de contrôle concrets :
- vérifier que la convocation et l’information sur le droit de consulter le dossier respectent les délais ;
- exercer ce droit de consultation et produire, en temps utile, leurs propres pièces médicales et observations écrites ;
- en cas de délai manifestement trop court ou d’absence d’information claire, conserver les preuves et soulever ce moyen devant le juge administratif, sur le fondement d’une méconnaissance de garantie au sens de la jurisprudence Danthony.
Que vous soyez collectivité confrontée à la situation d’un agent durablement inapte ou fonctionnaire visé par un projet de mise à la retraite pour invalidité, l’arrêt du 26 septembre 2025 rappelle que la solidité de la décision repose autant sur l’expertise médicale que sur la rigueur procédurale. Un accompagnement par un avocat maîtrisant le droit de la fonction publique permet de vérifier le respect de ces garanties, d’anticiper les risques contentieux et, le cas échéant, de contester efficacement une retraite pour invalidité prononcée au terme d’une procédure irrégulière.
Nos avocats experts en droit de la fonction publique, se tiennent à votre disposition pour répondre à toutes vos questions, vous conseiller et vous accompagner. Vous pouvez prendre rendez-vous directement en ligne sur www.agn-avocats.fr.
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