Ce que change l’arrêt du Conseil d’État du 17 octobre 2025
Beaucoup d’agents publics découvrent trop tard qu’ils ont perdu des jours de congés annuels non pris pendant un congé de maladie, de maternité, de paternité ou d’adoption. D’autres, placés en autorisation spéciale d’absence (ASA) pendant la crise sanitaire Covid‑19, se demandent s’ils peuvent réclamer un report ou une indemnisation.
L’arrêt du Conseil d’État du 17 octobre 2025 (Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 17/10/2025, n° 495899) apporte deux réponses majeures :
- Il consacre une véritable obligation d’information des agents sur leurs droits à congés annuels ;
- Il ferme la porte au report des congés non pris en cas d’ASA « vulnérables Covid‑19 ».
Le cadre juridique : entre décret de 1984 et droit de l’Union
Pour les fonctionnaires de l’État, les congés annuels sont régis par le décret n° 84‑972 du 26 octobre 1984.
- L’article 1er prévoit un congé annuel d’une durée égale à cinq fois les obligations hebdomadaires de service pour une année complète.
- L’article 5 pose le principe : pas de report sur l’année suivante, sauf autorisation exceptionnelle, et aucune indemnité compensatrice pour les congés non pris.
Ce dispositif national se heurte à l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, qui garantit à tout travailleur :
- Un congé annuel payé d’au moins quatre semaines ;
- Une indemnité financière seulement en cas de fin de relation de travail. (Légifrance)
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a donné à ce droit une portée très protectrice :
- Impossibilité de perdre les congés annuels non pris lorsque le salarié était empêché de travailler pour raison de santé (CJUE, 20/01/2009, aff. C‑350/06, Schultz‑Hoff) ;
- Obligation pour l’employeur d’informer clairement le travailleur des conditions de prise de ses congés, à défaut de quoi les droits ne peuvent s’éteindre (CJUE, grande chambre, 06/11/2018, aff. C‑684/16, Max‑Planck-Gesellschaft ; CJUE, 22/09/2022, aff. jointes C‑518/20 et C‑727/20, Fraport).
Le Conseil d’État avait déjà pris acte de cette jurisprudence européenne dans un avis important du 26 avril 2017, admettant l’incompatibilité de l’article 5 du décret de 1984 avec la directive pour les congés non pris en raison d’un congé de maladie et posant une période de report de quinze mois, dans la limite de quatre semaines de congé annuel par an (Conseil d’État, 5ème – 4ème chambres réunies, avis, 26/04/2017, n° 406009).
Le décret du 21 juin 2025 : une mise en conformité (partielle) du droit français
Sous la pression du droit de l’Union, le décret n° 2025‑564 du 21 juin 2025 est venu insérer, dans le décret de 1984, deux nouveaux articles 5‑1 et 5‑2.
En synthèse :
- Article 5‑1 : droit au report sur quinze mois des congés annuels non pris lorsque l’agent est empêché de les utiliser en raison :
- d’un congé pour raison de santé ;
- ou d’un congé lié aux responsabilités parentales ou familiales (notamment congé de maternité, d’adoption, de paternité et d’accueil de l’enfant, prévus aux articles L. 631‑3, L. 631‑8 et L. 631‑9 du code général de la fonction publique) ;
Ou report limité, sauf pour les congés parentaux/familiaux, aux quatre premières semaines de congés annuels.
- Article 5‑2 : en fin de relation de travail, les congés non pris donnent droit à une indemnité compensatrice, dans la même limite des quatre premières semaines (hors congés parentaux/familiaux).
Le Conseil d’État en déduit que, pour les agents empêchés de prendre leurs congés en raison d’une maladie, d’un congé de maternité, de paternité/accueil de l’enfant ou d’adoption, la demande syndicale de modification du décret a déjà été satisfaite : sur ce point, il prononce un non‑lieu à statuer.
Restent toutefois deux angles morts, sur lesquels il tranche :
- L’obligation d’information des agents ;
- Le sort des congés non pris en cas d’ASA pour raison de santé pendant la crise Covid‑19.
Une nouvelle obligation d’information des agents sur leurs congés
S’agissant de l’information, le Conseil d’État se fonde explicitement sur la jurisprudence de la CJUE (Schultz‑Hoff, Max‑Planck, Fraport). Il rappelle que le droit au congé annuel payé, pour la période minimale de quatre semaines, ne peut s’éteindre que si l’employeur a effectivement mis le travailleur en mesure de l’exercer, ce qui suppose une information précise et en temps utile sur les risques de perte des droits.
Appliquant ces principes, il juge que les articles 1er et 5 du décret de 1984 sont illégaux en tant qu’ils ne subordonnent pas l’extinction des droits à congés annuels non pris (ou du droit à indemnisation en fin de relation de travail), dans la limite des quatre semaines garanties par la directive à une information de l’agent portant :
Sur le nombre de jours de congé reportés au titre des années antérieures, en raison :
- D’un congé de maladie,
- D’un congé de maternité (art. L. 631‑3 CGFP),
- D’un congé de paternité et d’accueil de l’enfant (art. L. 631‑9 CGFP),
- D’un congé d’adoption (art. L. 631‑8 CGFP) ;
et sur la date limite jusqu’à laquelle ces jours peuvent être pris.
Concrètement, cela signifie que :
- Tant qu’un agent n’a pas été informé clairement de son stock de congés reportés (dans la limite de quatre semaines par année de référence) et de la date butoir pour les utiliser, l’administration ne peut pas opposer la perte de ces droits ;
- La responsabilité de l’employeur public pourra être engagée, et/ou une indemnité compensatrice obtenue, si les congés ont été perdus faute d’une telle information.
Le Conseil d’État annule donc la décision implicite de refus d’abroger le décret de 1984 dans cette seule mesure et enjoint au Premier ministre de modifier les articles 1er et 5 dans un délai de six mois, sans assortir cette injonction d’astreinte.
ASA Covid‑19 et congés annuels : une absence de droit au report
L’autre apport important de l’arrêt concerne les agents qui, pendant la crise sanitaire Covid‑19, ont été placés en autorisation spéciale d’absence parce qu’ils étaient considérés comme vulnérables et dans l’impossibilité de télétravailler.
Le syndicat requérant soutenait que ces agents auraient dû bénéficier, comme ceux en congé de maladie, d’un droit au report de leurs congés annuels non pris, voire d’une indemnité en fin de relation de travail, en application de l’article 7 de la directive 2003/88/CE.
Pour rejeter cette argumentation, le Conseil d’État s’appuie sur l’arrêt Sparkasse Südpfalz (CJUE, 14/12/2023, aff. C‑206/22), dans lequel la Cour a jugé que le droit de l’Union n’exige pas le report de congés annuels coïncidant avec une période de quarantaine Covid dès lors que le travailleur n’est pas malade : la finalité du congé annuel payé est de permettre un repos par rapport à l’exécution du travail, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il est simplement dispensé de service à titre préventif.
Le Conseil d’État transpose ce raisonnement :
- Les agents en ASA « vulnérables » ne sont pas en congé de maladie ;
- Ils sont autorisés à rester à domicile pour éviter un risque de contamination, sans exécution du service, mais sans incapacité de travail médicalement constatée ;
- Dès lors, le refus de prévoir un report spécifique de leurs congés annuels (ou une indemnité) ne méconnaît ni la directive, ni le principe d’égalité par rapport aux agents en congé pour raison de santé.
Pas de droit au report ni à indemnisation des congés non pris sur le fondement de l’article 7 de la directive 2003/88/CE pour les ASA Covid‑19.
Quelles conséquences pratiques pour les agents et les services RH ?
Pour les agents en congé de maladie, maternité, paternité/accueil, adoption
Désormais, trois idées clés :
- Vous disposez d’un droit au report de vos congés annuels non pris pour cause de congé de maladie ou de congés liés aux responsabilités parentales/familiales, dans la limite de quatre semaines par année de référence et sur une période de quinze mois (sauf régime plus favorable pour certains congés parentaux/familiaux).
- Si vous quittez la fonction publique sans avoir pu prendre ces congés, vous avez droit à une indemnité compensatrice pour ces quatre premières semaines.
- L’administration devra, à terme, vous informer explicitement du nombre de jours reportés et de la date limite pour les utiliser ; à défaut, elle ne pourra pas valablement considérer que ces droits sont perdus.
En pratique, un agent qui se voit opposer la « perte » de congés non pris à l’issue d’un congé maladie ou de maternité, sans avoir été clairement informé de ses droits et de la date butoir, pourra utilement contester cette décision et, le cas échéant, former une demande indemnitaire.
Pour les agents placés en ASA Covid‑19 « vulnérables »
L’arrêt est plus décevant :
- Les ASA accordées pendant la crise Covid‑19 ne donnent pas, en elles‑mêmes, droit au report des congés annuels non pris ni à une indemnité spécifique ;
- Ces agents ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des agents en congé de maladie, de sorte que la différence de traitement ne viole pas le principe d’égalité.
Pour les employeurs publics et services RH
L’arrêt impose de revoir les pratiques :
- Mettre en place un suivi individualisé des droits à congés reportés, au moins pour les quatre semaines garanties par la directive ;
- Assurer une information claire, traçable (portail RH, bulletins de situation, courriels) sur le nombre de jours de congés reportés pour cause de maladie, maternité, paternité/accueil ou adoption et la date limite d’utilisation
- Intégrer ces éléments dans les notes internes, guides RH et campagnes d’information, pour limiter les risques contentieux (recours pour excès de pouvoir, demandes indemnitaires).
En résumé
L’arrêt du 17 octobre 2025 confirme que le droit au congé annuel payé, pour les agents publics comme pour les salariés du privé, est devenu un droit fondamental fortement protégé par le droit de l’Union.
Pour les agents en congé de maladie, maternité, paternité/accueil ou adoption, la combinaison du décret du 21 juin 2025 et de la décision du Conseil d’État sécurise le report et l’indemnisation des quatre semaines minimales, en y ajoutant une exigence nouvelle : l’administration doit informez précisément les agents de leurs droits, sous peine de ne pouvoir en opposer l’extinction.
En revanche, les ASA Covid‑19 « vulnérables » restent en dehors de ce champ : elles ne créent pas, en elles‑mêmes, de droit au report des congés annuels non pris.
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