Par une décision importante rendue le 30 juillet 2025 (décision n° 2025-1152 QPC du 30 juillet 2025, Mme Virginie M.), le Conseil constitutionnel a censuré partiellement le mécanisme de passage en contrat à durée indéterminée (CDI) des agents contractuels de l’État. Désormais, les contrats conclus pour faire face à une vacance temporaire d’emploi doivent eux aussi être pris en compte pour atteindre les six années de services ouvrant droit au CDI (article L. 332-4 du code général de la fonction publique).
Le CDI des agents contractuels de l’État : le cadre juridique
La possibilité, pour un agent contractuel de l’État, de voir son CDD transformé en CDI ne résulte pas d’un usage mais de la loi.
- La loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 dite de « résorption de la précarité » a introduit, dans la fonction publique d’État, un droit à CDI après six ans de services publics effectifs auprès du même employeur, via l’article 6 bis de la loi n° 84‑16 du 11 janvier 1984.
- Cette logique a été reprise lors de la codification dans le code général de la fonction publique (CGFP) par l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021, à l’article L. 332-4.
En synthèse, l’article L. 332-4 du CGFP prévoit que :
- Un agent contractuel de l’État qui justifie de six années de services publics dans des fonctions relevant de la même catégorie hiérarchique,
- Auprès du même département ministériel, de la même autorité publique ou du même établissement public,
- Voit tout nouveau contrat conclu ou renouvelé obligatoirement conclu à durée indéterminée.
Le quatrième alinéa de cet article précise que la durée de six ans est comptabilisée en tenant compte des services accomplis dans des emplois occupés en application :
- Du 1° de l’article L. 332-1 ;
- Des articles L. 332-2, L. 332-3 (besoins permanents) ;
- Et L. 332-6 (remplacement momentané d’agents absents).
En revanche, les contrats conclus pour faire face à une vacance temporaire d’emploi dans l’attente du recrutement d’un fonctionnaire, sur le fondement de l’article L. 332-7 du CGFP, n’étaient pas pris en compte.
Cette architecture s’inscrit dans un cadre plus général où, en principe, les emplois civils permanents des personnes publiques sont occupés par des fonctionnaires, le recours aux contractuels n’étant possible qu’à titre dérogatoire et subsidiaire (Conseil d’État, avis, 25 septembre 2013, n° 365139).
La question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Virginie M.
Saisie par le Conseil d’État (décision n° 501118 du 28 mai 2025), la QPC de Mme Virginie M. visait le quatrième alinéa de l’article L. 332-4 du CGFP, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 24 novembre 2021.
La requérante reprochait à ces dispositions :
- D’exclure de la durée de six ans ouvrant droit à CDI les périodes accomplies en CDD pour faire face à une vacance temporaire d’emploi (art. L. 332‑7 CGFP),
- Alors que les périodes accomplies en CDD pour remplacer un agent absent (art. L. 332‑6 CGFP) étaient, elles, prises en compte.
Autrement dit, deux catégories d’agents contractuels recrutés pour répondre à un besoin temporaire étaient traitées différemment :
- Ceux recrutés pour remplacer un agent absent (L. 332-6) : leurs contrats comptaient pour le calcul des six ans ;
- Ceux recrutés sur une vacance temporaire dans l’attente du recrutement d’un fonctionnaire (L. 332-7) : leurs contrats ne comptaient pas.
La question était donc de savoir si cette différence de traitement respectait :
- Le principe d’égalité devant la loi (article 6 de la Déclaration de 1789) ;
- Et, subsidiairement, le droit d’obtenir un emploi (5e alinéa du Préambule de 1946).
Le Conseil constitutionnel a recentré son contrôle sur le seul principe d’égalité.
Une différence de traitement sans lien avec l’objet de la loi
Le Conseil constitutionnel rappelle d’abord sa formule classique : le principe d’égalité n’interdit ni que le législateur traite différemment des situations différentes, ni qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, à condition que la différence de traitement soit en rapport direct avec l’objet de la loi (article 6 de la Déclaration de 1789).
Pour apprécier ce rapport, il se replonge dans les travaux préparatoires de la loi du 12 mars 2012, à l’origine du dispositif de cédéisation des agents contractuels. Il en ressort que le législateur a poursuivi un double objectif :
- Prévenir les renouvellements abusifs de CDD dans la fonction publique ;
- Sécuriser les parcours professionnels des agents contractuels de l’État.
Dans cette logique, le législateur n’entendait pas distinguer, pour le calcul des six ans, entre les différents CDD conclus pour répondre à des besoins temporaires. Avant la codification dans le CGFP, l’ancien article 6 bis de la loi du 11 janvier 1984 incluait d’ailleurs expressément, parmi les contrats pris en compte, ceux conclus pour faire face à une vacance temporaire d’emploi (devenu ensuite article L. 332‑7 CGFP).
En excluant les CDD fondés sur l’article L. 332-7, le texte codifié :
- Introduisait une rupture d’égalité entre agents contractuels placés dans des situations très proches (tous recrutés sur des besoins temporaires, avec les mêmes exigences de continuité et de catégorie hiérarchique) ;
- Sans justification tirée de l’objet même de la loi de 2012, centrée sur la lutte contre la précarité.
Le Conseil constitutionnel juge ainsi que cette différence de traitement est « sans rapport avec l’objet de la loi », et qu’elle méconnaît le principe d’égalité devant la loi (Cons. const., décision n° 2025-1152 QPC précitée, cons. 9 à 11). Il n’est donc pas besoin d’examiner le grief tiré du droit d’obtenir un emploi.
Les mots « et L. 332-6 » figurant à la première phrase du quatrième alinéa de l’article L. 332-4 du CGFP sont déclarés contraires à la Constitution.
Une inconstitutionnalité à effet différé avec réserve transitoire
Conformément à l’article 62 de la Constitution, le Conseil constitutionnel devait ensuite organiser dans le temps les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité.
- Pas d’abrogation immédiate
Une abrogation immédiate aurait eu pour conséquence de supprimer purement et simplement la prise en compte des contrats de remplacement (L. 332‑6) dans le calcul des six ans, ce qui aurait gravement fragilisé de nombreux agents déjà proches du CDI. Le Conseil estime que cela entraînerait des « conséquences manifestement excessives ».
Il reporte donc l’abrogation de ces mots au 1er octobre 2026 (Cons. const., décision n° 2025-1152 QPC, cons. 14).
- Une réserve transitoire favorable aux agents
Pour faire cesser l’inconstitutionnalité dès la publication de la décision, le Conseil pose une règle transitoire : jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, et au plus tard jusqu’au 1er octobre 2026, les services accomplis dans des emplois occupés sur le fondement de l’article L. 332-7 CGFP doivent être pris en compte pour le calcul des six ans de l’article L. 332-4 (cons. 15).
Concrètement :
- Le mécanisme de cédéisation continue de fonctionner ;
- Mais le périmètre des CDD pris en compte est élargi : sont désormais comptabilisés les CDD fondés sur les articles L. 332-2, L. 332-3, L. 332‑6 et L. 332‑7 du CGFP ;
- Le législateur devra, d’ici au 1er octobre 2026, modifier l’article L. 332-4 pour mettre le texte en conformité définitive avec la Constitution.
Comme pour toute QPC, la déclaration d’inconstitutionnalité bénéficie à la requérante et s’impose à toutes les juridictions pour les instances en cours à la date de publication de la décision (article 62 de la Constitution).
Concrètement, que faire si vous enchaînez les CDD dans la fonction publique d’État ?
Si vous êtes ou avez été agent contractuel de l’État en CDD, cette décision peut avoir un impact direct sur votre situation, notamment si vous avez multiplié les contrats de remplacement ou de vacance temporaire.
Reconstituer précisément votre carrière
Il est indispensable de :
- Rassembler tous vos contrats et avenants (fondement juridique, dates, quotité de temps de travail) ;
- Identifier, pour chaque contrat, s’il a été conclu sur le fondement :
- D’un besoin permanent (L. 332‑2, L. 332‑3, L. 332‑1, 1°) ;
- D’un remplacement momentané d’un agent absent (L. 332‑6) ;
- D’une vacance temporaire d’emploi dans l’attente du recrutement d’un fonctionnaire (L. 332‑7).
Les intitulés des contrats sont parfois imprécis : c’est le fondement juridique mentionné dans le contrat ou la décision de recrutement qui est déterminant.
Vérifier la condition des six années de services
Pour apprécier si vous atteignez le seuil de six ans :
- Sont pris en compte les services accomplis dans des emplois entrant dans le champ de l’article L. 332-4 (désormais incluant L. 332‑7, en application de la décision du Conseil constitutionnel) ;
- Les services accomplis à temps partiel ou incomplet sont assimilés à des services à temps complet pour le calcul des six ans (art. L. 332‑4, al. 4) ;
- Les services accomplis de manière discontinue peuvent être pris en compte, sous réserve que les interruptions entre deux contrats n’excèdent pas quatre mois, règle déjà posée par l’ancien article 6 bis de la loi du 11 janvier 1984 et reprise par les circulaires d’application.
Une fois le seuil franchi, tout nouveau contrat conclu ou renouvelé dans les mêmes fonctions et auprès du même employeur doit être un CDI, par décision expresse. Lorsque les six ans sont atteints en cours de contrat, celui-ci est réputé conclu à durée indéterminée et doit faire l’objet d’un avenant confirmatif.
Faire valoir vos droits
En pratique, plusieurs situations peuvent se présenter :
- Vous êtes actuellement en CDD et, en comptabilisant vos contrats (y compris ceux fondés sur L. 332‑7), vous atteignez ou dépassez six ans :
- Vous pouvez solliciter formellement de votre administration la requalification de votre contrat en CDI, en vous fondant sur l’article L. 332‑4 CGFP tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel (décision n° 2025-1152 QPC).
- Votre CDD a pris fin alors que vous aviez déjà atteint les six ans (en retenant les CDD de vacance temporaire aujourd’hui reconnus) :
- un recours indemnitaire ou une contestation du refus de renouvellement peut être envisagé, sous réserve des délais de recours et d’une analyse précise de votre dossier.
- Vous êtes en contentieux devant le tribunal administratif :
- La juridiction doit tenir compte de cette décision, la disposition inconstitutionnelle ne pouvant plus être appliquée aux instances en cours à la date de publication de la décision.
Se faire accompagner
La décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2025 constitue une avancée majeure pour les agents contractuels de l’État, en corrigeant une malfaçon de la codification qui recréait une précarité injustifiée pour les CDD de vacance temporaire.
Pour autant, l’application concrète de cette décision suppose :
- Une analyse fine de votre situation contractuelle (nature des besoins, base légale des contrats, employeur, interruptions, changement de fonctions) ;
- Une maîtrise des délais et stratégies contentieuses (demande de requalification, recours gracieux, recours indemnitaire, référé, etc.).
Nos avocats en droit de la fonction publique peuvent vous aider à :
- Reconstituer votre parcours de CDD ;
- Vérifier si vous remplissez les conditions du CDI (article L. 332‑4 CGFP) à la lumière de la décision n° 2025-1152 QPC ;
- Engager les démarches nécessaires, amiables ou contentieuses, pour faire reconnaître vos droits.
Nos avocats experts en droit de la fonction publique, se tiennent à votre disposition pour répondre à toutes vos questions, vous conseiller et vous accompagner. Vous pouvez prendre rendez-vous directement en ligne sur www.agn-avocats.fr.
AGN AVOCATS – Pôle Fonction Publique
contact@agn-avocats.fr
09 72 34 24 72
- Actualités
- Assurance & Responsabilité
- Contentieux & résolution des litiges
- Droit Administratif et Public
- Droit Contrats & Distribution
- Droit de la Famille
- Droit des Affaires
- Droit du Sport
- Droit du Travail
- Droit Forestier
- Droit Pénal
- Droits spécifiques
- Dubaï
- Fiscalité
- Français à l'étranger
- Immigration
- Immobilier
- Les Quiz AGN
- Propriété intellectuelle et droit du numérique
- Recouvrement de créances et impayés
- Succession