Par une décision remarquée, le Conseil d’État rappelle qu’après l’annulation du licenciement d’un agent public, l’administration ne peut pas se limiter à une « réintégration juridique » : elle doit réexaminer concrètement la situation et proposer un emploi équivalent, quitte à réintégrer l’agent en surnombre (Conseil d’État, 3ème – 8ème chambres réunies, 24/07/2025, 487725). Rendu à propos d’un professeur de mathématiques de l’enseignement agricole privé sous contrat, cet arrêt renforce les garanties offertes aux enseignants contractuels et, plus largement, aux agents publics.
Le contexte : un enseignant contractuel de l’enseignement agricole privé
L’enseignant concerné était recruté par contrat pour enseigner les mathématiques dans un lycée d’enseignement agricole privé sous contrat d’association. L’article L. 813‑8 du code rural et de la pêche maritime prévoit que ces personnels, agents publics, sont nommés par le ministre de l’agriculture, liés par un contrat de droit public à l’État, qui les rémunère directement, et ne sont pas salariés de l’établissement où ils exercent.
En 2015, le ministre de l’agriculture prononce son licenciement pour insuffisance professionnelle. Par un arrêt du 18 septembre 2018, la cour administrative d’appel de Marseille annule ce licenciement et enjoint au ministre de réexaminer sa situation administrative et de le réintégrer avec reconstitution de ses droits sociaux et à pension à compter de la date d’effet du licenciement (CAA Marseille, 18/09/2018, 17MA03131). Constatant que, malgré cette injonction, il ne retrouvait pas un véritable poste, l’intéressé saisit de nouveau la cour sur le fondement de l’article L. 911‑4 du code de justice administrative. Par un arrêt du 27 juin 2023, la cour considère que l’arrêt de 2018 n’imposait qu’une réintégration « juridique » et refuse d’ordonner un réemploi effectif (CAA Marseille, 27/06/2023, 23MA00139).
Réintégration juridique ou réintégration effective ?
Le Conseil d’État censure cette lecture restrictive. Il rappelle que l’arrêt de 2018 comportait une injonction double : réexaminer la situation administrative de l’enseignant et le réintégrer avec reconstitution de ses droits (Conseil d’État, 24/07/2025, 487725, point 3). Il ne s’agissait donc pas seulement d’effacer le licenciement dans les systèmes administratifs, mais de replacer l’intéressé dans une situation conforme à la disparition rétroactive de la décision illégale.
En ne voyant dans cette injonction qu’une « réintégration juridique », la cour administrative d’appel a méconnu la portée de sa propre décision. Le Conseil d’État annule en conséquence l’arrêt du 27 juin 2023 en tant qu’il refuse d’ordonner la réintégration effective, puis règle lui‑même l’affaire au fond, sur le fondement de l’article L. 821‑2 du code de justice administrative.
Même emploi, emploi équivalent ou réintégration en surnombre : une obligation clarifiée
L’apport central de l’arrêt se trouve au point 6, où le Conseil d’État décrit précisément ce qu’implique l’annulation du licenciement d’un enseignant contractuel de l’enseignement agricole privé lorsqu’une injonction de réexamen a été prononcée.
Priorité au même emploi, puis à un emploi équivalent
Compte tenu des caractéristiques de la fonction, un contrat pour enseigner une discipline déterminée dans un établissement agricole privé sous contrat d’association nommément désigné, l’administration doit, sauf nouvelle procédure de licenciement ou renonciation expresse de l’agent à sa réintégration (Conseil d’État, 24/07/2025, 487725, point 6) :
réintégrer l’enseignant sur un même emploi, dans sa discipline, au sein de son établissement, si un tel poste est vacant ;
à défaut, le réintégrer sur un emploi équivalent vacant dans un autre établissement, en lui accordant une priorité.
Cette exigence d’« emploi équivalent » rejoint la jurisprudence selon laquelle l’agent illégalement évincé doit être replacé soit sur son poste, soit sur un poste identique ou de niveau équivalent, le défaut de réintégration engageant la responsabilité de l’administration (Conseil d’État, 31/05/1995, 132639, Mme Rodriguez).
L’absence de poste disponible n’exonère pas l’administration
Le Conseil d’État ajoute que, si aucun emploi équivalent n’est immédiatement vacant, l’administration doit replacer l’agent en surnombre, puis lui reconnaître une priorité pour accéder aux postes comparables qui se libéreront ensuite, que ce soit en cours d’année ou lors du mouvement annuel suivant (Conseil d’État, 24/07/2025, 487725, point 6). L’absence de poste disponible ne permet donc pas de différer indéfiniment la réintégration : l’agent doit être remis en position d’activité, même en surnombre, dans l’attente d’une affectation sur un emploi effectif. Ce n’est que s’il refuse ensuite un emploi réellement équivalent qui lui est proposé que l’administration peut légalement mettre fin à son contrat.
Comment le juge apprécie concrètement l’« emploi équivalent » ?
Dans l’affaire commentée, le contrat prévoyait un service à temps complet de professeur de mathématiques au lycée agricole privé de Miramas. Pour exécuter l’arrêt de 2018, l’administration avait proposé quatre postes vacants à l’issue du mouvement 2019‑2020. Aucun n’a été regardé comme équivalent par le Conseil d’État, soit parce que le service était incomplet, soit parce que les établissements proposés se situaient à plus d’une centaine de kilomètres du domicile de l’enseignant ou du lycée où il travaillait auparavant (Conseil d’État, 24/07/2025, 487725, point 7).
La haute juridiction en déduit que le ministre n’avait pas satisfait à son obligation de réintégration. Elle enjoint donc au ministre de réintégrer l’enseignant dans un emploi équivalent à celui qu’il occupait, dans un délai de trois mois, selon les modalités exposées au point 6, et prononce une astreinte de 100 € par jour de retard (Conseil d’État, 24/07/2025, 487725, dispositif).
Enseignements pratiques pour les agents publics
Même si l’arrêt concerne l’enseignement agricole privé, la logique retenue intéresse plus largement les agents contractuels – et par analogie les fonctionnaires – dont la mesure d’éviction a été annulée. On peut en tirer trois enseignements :
l’agent dont le licenciement est annulé ne peut pas être laissé sans affectation alors qu’il est réputé n’avoir jamais été licencié ;
en l’absence de poste équivalent immédiatement disponible, une réintégration en surnombre est exigée, avec priorité sur les emplois équivalents qui se libèrent ;
le refus par l’agent d’un emploi véritablement équivalent pourra justifier une nouvelle procédure de licenciement, ce qui impose une grande prudence dans l’appréciation de cette équivalence.
Que faire si votre licenciement a été annulé mais que vous n’êtes pas réintégré ?
Si vous êtes agent public et que votre licenciement a été annulé par le juge administratif, il convient notamment de :
relire le dispositif et les motifs de la décision pour identifier l’étendue de l’injonction (réexamen, réintégration, reconstitution des droits) ;
conserver les documents par lesquels l’administration vous propose ou non des postes, afin d’apprécier s’ils sont réellement équivalents à l’emploi que vous occupiez avant votre licenciement ;
en cas d’inexécution totale ou partielle, envisager une requête en exécution sur le fondement de l’article L. 911‑4 du code de justice administrative, éventuellement assortie d’une demande d’astreinte.
L’appréciation de la notion d’« emploi équivalent » étant au cœur du débat et pouvant avoir des conséquences importantes (notamment si vous refusez un poste proposé), il est recommandé de vous faire accompagner. Les avocats d’AGN AVOCATS, intervenant en droit de la fonction publique, peuvent vous assister pour contester un licenciement, faire exécuter une décision de justice ou sécuriser vos choix en cas de proposition de réintégration.
Nos avocats experts en droit de la fonction publique, se tiennent à votre disposition pour répondre à toutes vos questions, vous conseiller et vous accompagner. Vous pouvez prendre rendez-vous directement en ligne sur www.agn-avocats.fr.
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