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Télétravail et accident du travail : quelles responsabilités pour l’entreprise ?

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Depuis la crise sanitaire, le télétravail s’est imposé comme une modalité d’organisation incontournable pour les entreprises. Et pour cause, cette organisation du travail répond à la fois aux attentes des salariés en quête de flexibilité et aux besoins des entreprises en matière de performance et d’attractivité.

Cette pratique soulève une question pratique : qu’en est-il des accidents survenant pendant le télétravail ?

Beaucoup d’entreprises n’anticipent pas suffisamment les risques liés à la reconnaissance d’un accident du travail survenant pendant le télétravail. Or, la législation comme la jurisprudence rappellent que la responsabilité de l’employeur reste entière, même lorsque le salarié travaille depuis son domicile.

Qu’est-ce qu’un accident du travail en télétravail ?

Selon le Code de la sécurité sociale (article L. 411-1), est considéré comme accident du travail « quel qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail […]».

Cette définition large s’applique indifféremment aux locaux de l’entreprise et au domicile du salarié lorsqu’il est en télétravail.

La loi instaure une présomption d’imputabilité au travail : l’accident est présumé être un accident du travail lorsqu’il intervient sur le lieu du travail et durant les horaires de travail du salarié.

Concrètement, si un salarié chute dans son escalier en se rendant à son bureau, ou se blesse en manipulant son matériel professionnel, l’événement peut être reconnu comme un accident du travail.

Cette présomption peut toutefois être écartée si la cause de l’accident est étrangère au travail, ou si le salarié a interrompu sa mission pour motif personnel et s’est soustrait à la subordination de son employeur. 

Une jurisprudence en évolution

Les juridictions commencent à préciser les contours de cette protection.

Quelques exemples récents de juridictions en appel :

  • Cour d’appel de la Réunion du 4 mai 2023 n°22/00884 :

Un salarié quitte son poste de télétravail et sort de son domicile pour connaître les raisons de sa panne d’internet. Alors qu’il se rendait sur la voie publique pour se renseigner, un poteau chute et le salarié est heurté.

La juridiction considère que l’accident survenu ne bénéficie pas de la présomption d’imputabilité, le salarié ayant interrompu sa mission pour motif personnel.

« Il a ainsi cessé sa mission pour un motif personnel, aucune obligation ne lui ayant été faite pas son employeur de trouver l’origine de la panne ou de renseigner utilement l’opérateur téléphonique. »

  • Cour d’appel d’Amiens du 15 juin 2023, n°22/ 00474

Une salariée chute dans les escaliers de son domicile après avoir terminé sa journée de travail et s’être déconnectée de sa session de travail.

La Cour d’appel d’Amiens considère que la présomption d’imputabilité n’a pas vocation à s’appliquer puisque la salariée avait terminé sa journée de travail et qu’elle n’était donc plus sous la subordination de son employeur.

  • Cour d’appel d’Amiens du 2 septembre 2024 n° 23/00964 :

Une salariée chute alors qu’elle descendait ses escaliers pour prendre sa pause déjeuner. L’employeur n’a pas émis de réserve dans la déclaration d’accident du travail. L’accident est intervenu durant les plages horaires variables de travail lors de la pause méridienne. La période constituait une interruption courte de la durée du travail, légalement prévue, assimilable au temps de l’exercice de l’activité professionnelle.

Les juges du fond estiment donc que l’accident est intervenu durant le temps de travail, la salariée n’ayant pas interrompu son travail pour un motif personnel.

A ce jour, il n’existe pas de réponse claire apportée par la Cour de cassation sur les contours de l’accident de travail survenu à un salarié en télétravail.

Toutefois, les décisions rendues par les juridictions du second degré illustrent l’importance de ne pas négliger l’obligation de sécurité de l’employeur, même en situation de télétravail.

Les obligations en matière de santé et sécurité ne s’arrêtent pas aux portes de l’entreprise et les entreprises doivent considérer le domicile du salarié comme un véritable lieu de travail soumis aux mêmes règles de sécurité.

Quelles sont les bonnes pratiques pour sécuriser le télétravail ?

L’obligation de sécurité de l’employeur prévue à l’article L. 4121-1 du Code du travail ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise : elle s’étend au domicile du salarié lorsqu’il exerce son activité en télétravail. Les récentes décisions des cours d’appel confirment que les juges examinent avec attention les circonstances précises des accidents survenus à distance, notamment en matière de respect du temps de travail et d’environnement de travail adapté.

Pour limiter les risques de reconnaissance d’un accident du travail, voire de faute inexcusable, les entreprises doivent mettre en œuvre des mesures concrètes en amont.

Encadrer et contrôler le temps de travail

Plusieurs arrêts, comme ceux précités de la cour d’appel de La Réunion (4 mai 2023) et d’Amiens (15 juin 2023), montrent que la présomption d’imputabilité ne joue pas lorsque l’accident survient en dehors du temps de travail ou à la suite d’une interruption de mission à titre personnel. Cela souligne la nécessité, pour les entreprises, de pouvoir démontrer précisément les horaires de travail du salarié.

Il est donc essentiel de :

  • Définir clairement les plages horaires de travail dans le cadre du télétravail (via contrat, avenant ou charte),
  • Mettre en place des outils fiables de suivi du temps de travail (badgeage numérique, journal de connexion, application dédiée),
  • Informer les salariés sur leurs obligations en matière de respect des horaires, de droit à la déconnexion : l’arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 2022 (n° 21-18.139) rappelle d’ailleurs que la charge de la preuve du respect des durées maximales incombe à l’employeur, même en télétravail.

Vérifier la conformité du domicile comme lieu de travail

Les juridictions rappellent que le domicile devient, en situation de télétravail, un lieu professionnel à part entière. Ainsi, en cas d’accident, les juges vont rechercher si le salarié agissait dans le cadre de son activité professionnelle et si le lieu présentait un lien suffisant avec celle-ci.

Ces évolutions jurisprudentielles renforcent la nécessité, pour l’employeur, de formaliser l’utilisation du domicile comme lieu de travail, de l’encadrer, et de s’assurer de sa compatibilité avec la santé et la sécurité du salarié.

L’entreprise a donc tout intérêt à :

  • Recueillir des informations sur les conditions matérielles dans lesquelles s’exerce le télétravail : espace dédié, mobilier adapté, isolement électrique, sécurité des accès, etc.
  • Vérifier que le lieu du domicile du salarié est assuré,
  • Proposer ou recommander du matériel ergonomique : siège adapté, support écran, clavier, lampe, etc.

Intégrer le télétravail dans la politique de prévention

Le télétravail doit impérativement être intégré au document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), avec une analyse spécifique des risques psychosociaux, de l’ergonomie du poste et de l’isolement.

Quelques exemples d’actions concrètes pouvant accompagner cette évaluation :

  • Élaboration d’une charte ou d’un accord collectif définissant les modalités du télétravail,
  • Formation des managers à l’encadrement à distance,
  • Information des salariés sur les règles de sécurité, les bonnes pratiques et les modalités de déclaration d’un accident survenu à domicile, etc.

Le développement du télétravail ne réduit pas les obligations des entreprises en matière de santé et sécurité au travail.

Dans la lignée de notre article « Accidents du travail et maladies professionnelles : un enjeu caché qui pèse lourd sur les charges des entreprises », la question du télétravail illustre bien la complexité de la reconnaissance, et donc de la contestation, des accidents du travail. Un accident survenu à domicile pendant les horaires professionnels peut être reconnu au même titre qu’un accident sur site, exposant l’employeur aux mêmes risques, y compris en cas de doute sur les circonstances.

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