
La problématique du « télétravail sans frontière » se pose désormais à de nombreux employeurs. En effet, à l’heure du télétravail généralisé, certains salariés ont déjà fait le choix de s’installer dans leurs résidences secondaires, de pratiquer le « bleisure », salariés qui débutent ou prolongent un voyage d’affaires par quelques jours de loisir –, ou encore de déménager définitivement à l’étranger.
Pour les postes qui le peuvent, le travail à distance a été considérablement facilité ces dernières années, tant matériellement que juridiquement. Néanmoins, les problèmes liés à une domiciliation à l’étranger du salarié demeurent épineux : un tel changement aura de lourdes conséquences sur l’exécution du contrat de travail. Concrètement, comment l’employeur peut-il anticiper et encadrer une telle situation ? Quels sont les principaux points d’attention pour l’organiser en amont ?
Les conditions du télétravail à l’étranger
S’il n’y a pas de solution uniforme à la question du télétravail à l’étranger, tant les situations sont contrastées, cela implique néanmoins un encadrement préalable des modalités d’autorisation et de mise en œuvre par l’employeur.
Anticiper la possibilité d’un départ à l’étranger
Bien que le salarié soit sous la subordination juridique de l’employeur, rien ne lui interdit, légalement, d’installer unilatéralement son domicile à l’étranger, en vertu de sa liberté de choisir son domicile. Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. C’est pourquoi tout salarié dispose de la liberté de choisir son domicile (Cass. soc. 12-1-1999 ; Cass. soc. 12-7-2005 no 04-13.342 ; Cass. soc. 28-2-2012 no 10-18.308). Il résulte de la jurisprudence que l’employeur peut apporter une restriction à cette liberté, notamment en insérant une clause de domicile ou une clause de mobilité dans le contrat de travail, à condition que cette restriction soit indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise et proportionnée, compte tenu de l’emploi occupé et du travail demandé, au but recherché.
En effet, les restrictions à cette liberté peuvent seulement être justifiées par la protection des intérêts légitimes de l’entreprise ou encore au nom de la protection de la santé du salarié (un salarié qui choisit de déménager à plusieurs centaines de kilomètres du siège de son entreprise peut être licencié au nom de l’obligation de l’employeur en matière de prévention de la santé et de sécurité des salariés. C’est ce que vient de juger la cour d’appel de Versailles (CA Versailles 10-3-2022 n 20/02208, DG c/ Sté Konica Minolta Business Solutions France)), et doivent, en tout état de cause, être proportionnées.
Néanmoins, le salarié étant tenu d’une obligation de loyauté à l’égard de son employeur et dans la mesure où il ne peut pas lui imposer le télétravail total, il semble évident qu’il sollicite l’accord de l’employeur avant de déménager à l’étranger.
Aussi, dès lors que certains sont déjà en télétravail total, il est vivement conseillé aux employeurs de communiquer en amont sur la question d’un possible départ à l’étranger, en avertissant qu’ils ont l’obligation de prévenir l’employeur et qu’ils doivent lui garantir des conditions normales d’exécution du contrat de travail.
Encadrer strictement les conditions de l’expatriation
Il est impératif d’encadrer la pratique, en s’appuyant, par exemple, sur l’accord collectif ou la charte, relatifs au télétravail, qui pourraient prévoir des dispositions sur son exercice à l’étranger. A défaut, il faut le formaliser de manière détaillée avec le salarié demandeur.
Cet accord, quelle que soit sa forme, pourrait reprendre le socle commun applicable pour l’exercice du télétravail « classique », tout en ajoutant des règles spécifiques au télétravail à l’étranger. Il faudra, par exemple, prévoir les droits et obligations des deux parties, les frais professionnels et de déplacement occasionnés par l’installation, en distinguant ceux qui pourront être remboursés par l’employeur de ceux qui resteront à la charge du salarié, fixer les horaires de travail – notamment en cas de décalage horaire et/ou de forfait jours –, rappeler l’importance des règles de protection des données, s’assurer de la santé et de la sécurité du salarié, ainsi que de sa protection sociale complémentaire. Cette liste n’est pas exhaustive et dépendra, bien évidemment, de la situation et du pays d’installation du salarié.
Au surplus, il pourrait être opportun d’envisager une éventuelle négociation collective, au moyen de laquelle l’employeur pourrait, dans le cadre d’un accord d’entreprise, restreindre le périmètre des pays dans lesquels le salarié serait susceptible de télétravailler et de s’installer à titre personnel.
Les principaux points d’attention
Il faut déterminer si les parties pourront maintenir l’application de la loi française pour l’exécution du contrat de travail et quelles seraient les dispositions impératives applicables à défaut de choix. L’employeur devra également être attentif aux risques pour son entreprise.
Les règles applicables au télétravailleur étranger
- Au regard du droit du travail
En principe, l’employeur et le salarié peuvent choisir la loi applicable au contrat de travail, en vertu du règlement CE 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 (dit « Rome 1 »), donc conserver la loi française, à condition que ce choix n’ait pas pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut pas être dérogé en vertu de la loi, qui, à défaut de choix, auraient été applicables.
A défaut de choix exercé par les parties, la loi applicable au contrat de travail sera :
- Soit celle du pays dans lequel, ou, à défaut, à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail en exécution du contrat ;
- Soit, si la loi applicable ne peut être déterminée sur cette base, celle du pays dans lequel est situé l’établissement qui a embauché le travailleur ;
- Soit, s’il résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays, la loi de cet autre pays.
Concrètement, les parties au contrat devront déterminer les dispositions impératives de la loi du pays qui seraient applicables à défaut de choix : pour la France, il s’agit notamment des règles relatives à la procédure de licenciement, ou encore à la rupture des CDD. Il faudra les comparer avec celles du pays d’accueil et se demander si ce dernier dispose, en matière de droit du travail, de règles impératives plus favorables, qu’il faudra alors appliquer.
- Au regard du droit de la sécurité sociale
S’agissant des lois applicables en matière de sécurité sociale, il faut distinguer le détachement – qui a un caractère temporaire –, du télétravail à l’étranger, qui a vocation à perdurer. Dans l’Union européenne, l’Espace économique européen (UE et Norvège, Islande, Liechtenstein) ou en Suisse, le télétravailleur expatrié sera soumis à la législation de sécurité sociale applicable du pays dans lequel il travaille. Il existe néanmoins des possibilités d’affiliation, par exemple à un régime de retraite complémentaire ou d’assurance volontaire auprès de la Caisse des Français de l’Etranger (la sécurité sociale des expatriés). Dans les autres pays, l’employeur devra se référer aux conventions bilatérales de sécurité sociale.
- Au regard du droit fiscal
Le déménagement du salarié à l’étranger entraîne nécessairement l’obligation pour l’employeur de se questionner sur la détermination de la résidence fiscale du salarié.
En effet, les salaires versés par les employeurs français à des employés non-résidents sont soumis à un régime d’imposition spécifique sous forme de retenue à la source à des taux variant de 0 à 20% (différentes du « Prélèvement à la source »), en application de l’article 182 A du Code général des impôts.
Nous soulignons ici que l’appréciation de la résidence fiscale d’un employé se fera sur la base de critères multiples, appréciés au regard du droit interne français et des conventions fiscales éventuellement applicables, prenant en compte les circonstances particulières de la situation personnelle, professionnelle et patrimoniale de l’employé. L’assistance d’un conseil, éventuellement pris en charge par l’employeur, est particulièrement recommandée pour aider à la détermination de la résidence fiscale d’un employé.
De la même manière, un employeur étranger dont un des salariés, résident à l’étranger, viendrait s’installer en France pour y travailler en télétravail, même de manière temporaire, se trouvera dans l’obligation de se conformer à des obligations déclaratives pour lui-même (avec potentiellement la désignation d’un représentant fiscal) et pour le salarié, et de prélever des montants de retenues à la source ou d’acomptes d’impôt sur le revenu, dans des conditions différentes selon le pays d’établissement de l’employeur et la nature de l’emploi exercé.
Nous soulignons que les obligations pesant sur les employeurs étrangers ont été modifiées par la Loi de Finances pour 2023, dont les dispositions en la matière sont applicables depuis le 1er janvier 2023. Nos avocats sont à votre disposition pour vous aider à déterminer les obligations pesant sur les employeurs étrangers en la matière.
Les risques pour l’employeur
Même en anticipant au mieux ces situations, l’employeur doit être conscient que le télétravail à l’étranger comporte de nombreux risques pour l’entreprise. Ainsi, comme évoqué ci-avant, un employeur peut, par exemple, se retrouver redevable d’obligations déclaratives et de paiement dans le pays de résidence du salarié.
En outre, si le salarié de société française qui réside à l’étranger ou un employé de société étrangère qui réside en France dispose de pouvoirs importants pour le compte de son employeur dans son état de résidence, l’employeur peut se voir confronté à une problématique d’”établissement stable”, entraînant une imposition pour la société dans le pays de résidence de l’employé.
Les avantages pour l’employeur
Le télétravail à l’étranger n’est pas seulement synonyme d’obligations pour l’employeur. En effet, si l’on prend par exemple l’hypothèse dans laquelle un cadre technique qui a télétravaillé à l’étranger, qui a été affilié à un régime de retraite complémentaire dans le pays d’accueil et qui a cotisé un certain nombre d’années, l’employeur pourra bénéficier d’une exonération de charges sociales. Et ce, sous réserve d’adresser préalablement à l’embauche, une demande en ce sens à l’URSAFF.
Enfin, cette problématique, qui pourrait prendre de l’ampleur dans les années à venir, conduit nécessairement à se demander si la liberté pour le salarié d’installer son domicile à l’étranger doit primer sur la liberté de l’employeur de limiter son activité professionnelle à certains pays. Avec de telles incidences, il est donc urgent que le législateur s’empare de cette question encore floue pour imposer une limite à la liberté de choix du domicile du salarié, dès lors que celui-ci s’exerce à l’étranger.
Nos avocats, experts en droit du travail, sont à votre disposition pour répondre à toutes vos questions et vous conseiller. Nous proposons des consultations en présentiel ou en visioconférence. Prenez rendez-vous directement en ligne sur https://www.agn-avocats.fr/.
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