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Infraction pénale commise par un agent public : sanctions et articulation pénal/administratif

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Deux voies de sanction pour un même fait, deux logiques distinctes

Lorsqu’un fonctionnaire ou agent public commet (ou est suspecté de commettre) des faits répréhensibles, il peut être confronté simultanément à deux types de procédures : la procédure pénale (devant les tribunaux répressifs, en application du Code pénal) et la procédure disciplinaire administrative (devant l’autorité hiérarchique, en application du statut de la fonction publique). Par exemple, un agent public qui aurait détourné des fonds publics pourra faire l’objet d’une enquête pénale pour détournement de fonds (délit) et parallèlement d’une procédure disciplinaire pouvant mener à sa révocation.

Se pose alors la question de l’articulation entre ces deux voies : l’une doit-elle attendre l’autre ? L’issue de l’une influence-t-elle l’autre ? Et cumuler une peine pénale et une sanction disciplinaire n’est-il pas un “double châtiment” contraire au principe non bis in idem ?

Le droit français, tant par les textes que par la jurisprudence, a posé le principe de l’indépendance des procédures pénale et disciplinaire. Ce principe signifie que chacune suit son cours propre, selon ses finalités, et que l’engagement de l’action pénale n’empêche pas (en principe) l’administration de prononcer, si nécessaire, une sanction disciplinaire sans attendre le verdict pénal. Il a été affirmé de longue date par le Conseil d’État. En 2019 encore, dans l’affaire de la révocation d’un maire impliqué pénalement, le Conseil d’État a rappelé que « la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale » et qu’une autorité administrative peut sanctionner un agent sans méconnaître la présomption d’innocence dès lors qu’elle se fonde sur sa propre appréciation des faits.

Cela étant, l’indépendance n’est pas absolue. D’une part, la loi peut prévoir des aménagements : par exemple, le statut général impose qu’une peine pénale certaine entraîne de plein droit une sanction disciplinaire spécifique (la destitution dans certains corps pour des crimes particulièrement graves, etc.). D’autre part, la jurisprudence nuance le principe dans un cas bien précis : si le juge pénal, par une décision définitive, a acquitté le prévenu en constatant que le fait n’a pas été commis ou que l’agent n’en est pas l’auteur, alors l’administration ne peut pas, sur la base des mêmes faits, prononcer une sanction disciplinaire en contradiction avec cette constatation. C’est l’application de l’autorité de la chose jugée pénale sur le disciplinaire concernant la matérialité des faits et leur imputation. En revanche, un jugement pénal qui relaxe l’agent faute de preuve suffisante ou le condamne pour tel aspect n’empêche pas nécessairement l’administration d’agir selon sa propre appréciation des fautes administratives.

Enfin, quant au cumul des sanctions (pénale et disciplinaire), il est admis en droit français, car on considère que les deux sanctions ne poursuivent pas le même but : la sanction pénale réprime une atteinte à l’ordre public général, la sanction disciplinaire protège le bon fonctionnement du service et la moralité de la fonction publique. Ce cumul n’est pas considéré comme une double punition pour la même chose au sens du non bis in idem de la CEDH, cette dernière visant le cumul de sanctions pénales stricto sensu.

Abordons maintenant plus en détail ces questions, en expliquant d’abord comment l’administration peut traiter un agent mis en cause pénalement (suspension, attente ou non de la décision), puis quels effets a un jugement pénal sur le disciplinaire, et vice versa. Nous verrons aussi des cas particuliers, comme la procédure disciplinaire des fonctionnaires en cas de condamnation pénale pour des faits de délinquance sexuelle, et l’exemple des professions réglementées (ex : policiers, magistrats) où des dispositions spécifiques existent.

La conduite de la procédure disciplinaire en présence d’une procédure pénale

Lorsqu’un agent public fait l’objet de poursuites pénales (information judiciaire, mise en examen, renvoi devant un tribunal), l’administration se trouve face à un choix : engager ou non immédiatement une procédure disciplinaire. Le statut général de la fonction publique n’oblige pas l’administration à attendre l’issue du procès pénal pour statuer disciplinairement ; c’est là l’expression de l’indépendance des poursuites. Toutefois, dans la pratique, les employeurs publics adoptent des stratégies au cas par cas :

  • S’il s’agit de faits très graves et avérés (ex : flagrant délit), l’administration peut prononcer rapidement une sanction lourde, sans attendre le jugement, car le trouble causé au service justifie une réaction prompte.
  • S’il s’agit de faits complexes ou incertains, l’administration peut préférer suspendre provisoirement l’agent (mesure conservatoire, non punitive) dans l’attente d’y voir plus clair. La suspension est prévue par les textes : un agent poursuivi pénalement pour des faits d’une gravité certaine peut être suspendu par mesure de précaution, en général avec maintien partiel du traitement (moitié, sauf indemnités).

La jurisprudence a validé des cas où l’administration sanctionne avant le pénal. Par exemple, un fonctionnaire accusé de vol de matériel : même si le procès pénal n’a pas encore eu lieu, l’administration peut, sur la base de son enquête interne, le révoquer s’il estime les faits établis. Bien sûr, en cas d’acquittement/relaxe pénal total ensuite, l’agent pourrait demander révision de la sanction sur cette base, mais ce n’est pas automatique (voir plus bas).

En sens inverse, il est arrivé que le juge administratif annule une sanction disciplinaire prononcée trop précipitamment alors que la procédure pénale aurait pu apporter des clarifications contraires. Cela demeure rare, car en principe, encore une fois, le disciplinaire peut avoir sa propre intime conviction.

La suspension de l’agent pendant la procédure pénale est un outil important : l’administration protège ainsi le service sans préjuger définitivement la culpabilité. La suspension ne constitue pas une sanction (elle est révocable et l’agent demeure en position d’activité). Une suspension peut durer jusqu’à l’issue de la procédure pénale, mais l’administration doit éviter des durées excessives. En pratique, si le procès pénal traîne sur des années, l’employeur peut être tenté de statuer disciplinairement avant, pour ne pas laisser l’agent dans l’incertitude ni désorganiser le service.

L’influence des décisions pénales sur le disciplinaire

Le principe est qu’en matière de constatation des faits, le juge pénal “tient en l’état” de manière relative le juge disciplinaire sur certains points. Concrètement :

  • Si le juge pénal a jugé définitivement que les faits reprochés n’ont pas existé ou que l’agent n’en est pas l’auteur, l’administration ne peut pas sanctionner l’agent pour ces faits sans méconnaître l’autorité de la chose jugée. Ce serait lui reprocher quelque chose qu’un tribunal a déclaré inexistant, ce qui est interdit.
  • En revanche, si le juge pénal a relaxé l’agent pour insuffisance de preuve ou pour une cause légale (ex : amnistie, prescription) sans nier la matérialité des faits, l’administration peut estimer les faits établis à son niveau avec le dossier dont elle dispose et sanctionner.
  • Si le juge pénal a condamné l’agent pour certains faits, l’administration est en droit de s’en servir pour le disciplinaire, et même de qualifier fautivement d’autres manquements connexes non pris en compte par le pénal (ex : le pénal ne sanctionne que l’infraction, l’administration peut ajouter manquement au devoir de probité, etc.). Mais attention à ne pas sanctionner deux fois le même exact comportement sur les mêmes bases : c’est possible, mais la sanction disciplinaire ne doit pas se fonder exclusivement sur la peine pénale.

Une illustration : un agent est poursuivi pénalement pour violences sur une personne dans le cadre du service. Le tribunal correctionnel relaxe en disant “les faits ne sont pas prouvés, ou ne constituent pas une infraction pénale”. L’administration pourrait quand même estimer que l’agent a eu un comportement inapproprié et le sanctionner pour manquement au devoir de bonne conduite, à condition qu’elle ait des éléments propres. Mais si la relaxe dit “l’agent n’a jamais touché la victime”, l’administration ne peut pas dire le contraire.

La jurisprudence a parfois formulé cela ainsi : Le juge administratif disciplinaire n’est pas lié par la qualification juridique retenue par le juge pénal, ni par son appréciation de la gravité, mais il est lié par les constatations de fait incontestables. Par exemple, le juge pénal peut acquitter pour légitime défense ; l’administration pourrait cependant estimer qu’indépendamment de la légitime défense pénale, l’agent a manqué de sang-froid et le sanctionner – cela semble paradoxal, mais c’est possible, car la finalité n’est pas de punir l’infraction (il n’y en a pas pénalement), mais de sanctionner un écart de comportement par rapport à la déontologie.

En matière financière, on retrouve un mécanisme de liaison : quand un comptable public est poursuivi en gestion de fait, il y a articulation entre juridictions financières, pénales et disciplinaires. Ce domaine particulier obéit à ses propres règles de suspension de poursuites éventuellement.

Le principe non bis in idem ne s’applique pas entre pénal et disciplinaire car le Conseil d’État et la Cour européenne des droits de l’homme considèrent que la sanction disciplinaire n’est pas de nature pénale au sens de la Convention. Donc un agent peut cumuler, par exemple, un an de prison avec sursis et une révocation, pour les mêmes faits, sans violer la CEDH.

Cependant, la jurisprudence européenne a imposé le non bis in idem dans le cumul de sanctions de même nature (ex : deux sanctions pénales pour un même fait, ou deux sanctions administratives répressives). Mais disciplinaire contre pénal, on maintient la distinction (arrêts de la CEDH comme Grande Stevens c/ Italie – mais c’était pénal contre sanction administrative considérée “pénale” car amende d’autorité de marché ; pour la fonction publique, la sanction disciplinaire n’est pas assimilée à du pénal par la CEDH).

Le cas des agents condamnés pénalement : suites disciplinaires

Lorsqu’un fonctionnaire est condamné pénalement, l’administration est fondée, voire obligée, d’en tirer les conséquences disciplinaires. Le statut général prévoit que toute condamnation pour faits contraires à l’honneur, aux bonnes mœurs ou portant atteinte à la dignité des fonctions peut justifier une sanction disciplinaire, y compris si les faits sont commis en dehors du service (ex : un enseignant condamné pour pédopornographie sera révoqué même si les faits étaient extra-professionnels, car incompatibles avec ses fonctions).

Des textes spéciaux existent. Par exemple, l’article L.550-1 du Code général de la fonction publique dispose qu’un fonctionnaire révoqué de droit s’il est frappé d’une interdiction d’exercer une fonction publique en tant que peine complémentaire pénale. Ou bien pour les élus locaux faisant fonction d’agent (cas des maires, qui ne sont pas fonctionnaires mais assimilés en discipline par le pouvoir hiérarchique du préfet), il existe la possibilité de suspension ou de révocation par décret en conseil des ministres en cas de gestion gravement fautive, même avant jugement.

Indépendance des sanctions mais unité de valeurs

Le parallèle entre pénal et disciplinaire montre que, malgré l’indépendance, il existe une unité de valeurs sous-jacente : la faute disciplinaire grave recoupe souvent l’infraction pénale. L’administration, en tant qu’employeur, attend de ses agents un comportement exemplaire, et quand celui-ci enfreint la loi pénale, il y a presque toujours une atteinte aux obligations de l’agent (obligation de probité, de dignité, etc.).

Ainsi, beaucoup de fautes disciplinaires graves sont aussi des délits ou crimes : vol, fraude, agression et harcèlement sexuel, violence, corruption, prise illégale d’intérêts… L’articulation consiste donc en une coopération implicite : fréquemment, l’administration se constitue partie civile au pénal (par exemple un ministère partie civile dans un procès pour détournement commis par un de ses agents ou un hôpital contre des faits de harcèlement commis par un de ses praticiens hospitaliers). Cela lui permet d’obtenir réparation financière des préjudices subis du fait de l’infraction, en plus de sanctionner l’agent sur le plan statutaire.

Il convient de souligner la possibilité du jugement pénal avant disciplinaire : parfois, l’administration attend la décision pénale pour l’utiliser comme preuve en disciplinaire. En effet, la procédure pénale (avec perquisitions, écoutes, etc.) peut fournir des éléments probants que l’administration seule n’aurait pu réunir. Dans le cas par exemple d’usage de stupéfiants par un agent en dehors du service : l’administration n’en a vent que si la police arrête l’agent. Une condamnation pénale pour usage de stupéfiant pourra justifier ensuite une sanction pour manquement au devoir d’exemplarité, surtout pour les agents de sécurité.

Le casier judiciaire : un certain nombre de postes publics nécessitent un casier vierge (policiers, etc.). Si un agent se fait condamner, il peut perdre son habilitation (ex : agent de sécurité avec port d’arme). Cela peut alors justifier une radiation, indépendamment de la sanction disciplinaire, son métier étant réglementé. C’est une autre interaction : la conséquence pénale (mention au casier) a un effet automatique sur l’emploi.

En conclusion, on voit que l’articulation pénal/administratif repose sur un équilibre :

  • Indépendance pour que chaque autorité (judiciaire et administrative) puisse agir selon sa finalité.
  • Concertation et respect de la chose jugée pour éviter les contradictions flagrantes.
  • Cumul possible des sanctions pour garantir la protection à la fois de la société et du service public, tout en restant dans les limites du raisonnable (la sanction disciplinaire tient compte souvent de la sanction pénale déjà subie, par équité, sans que ce soit une règle de droit stricte).

Un double regard sur la faute, garant de l’intégrité du service public

Le droit pénal et le droit disciplinaire dans la fonction publique sont deux mondes juridiques parallèles qui, lorsqu’ils convergent sur une même affaire, assurent une double régulation : l’une par la société via ses tribunaux, l’autre par l’administration via son pouvoir disciplinaire. Le principe d’indépendance des procédures, entériné depuis longtemps, vise à ce qu’aucune de ces régulations ne paralyse l’autre. Ainsi, le service public peut exclure les comportements fautifs sans attendre les aléas (et les délais) de la justice pénale, et inversement la justice pénale peut sanctionner un agent sans se soucier de son statut.

Cette indépendance est toutefois tempérée par le souci de justice et de cohérence : en pratique, les administrations observent généralement l’issue pénale lorsqu’elle n’est pas trop lointaine, surtout s’il existe un doute sur la réalité des faits. Et lorsque le juge pénal prononce un verdict, il est rare que l’administration passe outre sans raison : par exemple, punir disciplinairement un agent relaxé parce que non impliqué serait mal perçu et possiblement annulé par le juge administratif pour erreur de fait.

On voit également que le cumul des sanctions n’est pas synonyme de double peine, car chacune répond à un objectif propre. La jurisprudence européenne l’admet dans ce contexte de la fonction publique. Ce cumul se veut proportionné : un acte gravissime (ex : corruption) pourra entraîner une lourde peine de prison ET la révocation, ce qui paraît logique au regard de l’atteinte à la fois à la loi et à l’éthique professionnelle.

En définitive, la dualité de la répression renforce la garantie d’intégrité du service public. Un agent indélicat ne pourra échapper aux conséquences ni sur le plan pénal, ni sur le plan professionnel. Et à l’inverse, un agent injustement accusé dispose de deux chances de se voir reconnu innocent – si le pénal le disculpe, il est hautement probable que le disciplinaire en tiendra compte et qu’il pourra réintégrer ses fonctions.

La clé réside dans la communication et la bonne intelligence entre l’autorité judiciaire et l’autorité administrative. Des procédures de signalement existent (par ex. le procureur informe l’administration des condamnations de fonctionnaires – art. 11-2 du CPP). De même, l’administration peut transmettre au parquet des faits qu’elle a découverts. Cette collaboration permet que chaque manquement d’un agent ayant un volet pénal soit traité de manière globale, dans le respect des droits de la défense et des impératifs du service.

Nos avocats experts en droit de la fonction publique, se tiennent à votre disposition pour répondre à toutes vos questions, vous conseiller et vous accompagner. Vous pouvez prendre rendez-vous directement en ligne sur www.agn-avocats.fr.

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