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Une étudiante nantaise fait suspendre son exclusion universitaire : le Conseil d’État lui donne raison

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Une sanction disciplinaire contestée

En septembre 2024, une étudiante en deuxième année de licence de droit à Nantes Université – également présidente d’une association étudiante – fait l’objet d’une décision administrative disciplinaire lourde. La commission de discipline de l’université prononce son exclusion pendant neuf mois de l’établissement. Il s’agit d’une sanction disciplinaire affectant gravement la poursuite de ses études. Comme toute décision administrative individuelle défavorable (notamment une sanction), cette exclusion devait être motivée en fait et en droit conformément à la loi, et elle pouvait être contestée devant le juge administratif. L’étudiante décide donc d’engager un recours pour excès de pouvoir – c’est-à-dire un recours en annulation pour illégalité – devant le tribunal administratif, afin de faire annuler cette sanction.

Parallèlement, compte tenu de l’impact immédiat de la sanction (ne plus pouvoir assister aux cours ni passer les examens), elle dépose en urgence un référé suspension sur le fondement de l’article L.521-1 du Code de justice administrative (CJA). Cette procédure de référé permet de demander au juge administratif, en urgence, de suspendre l’exécution d’une décision administrative en attendant le jugement au fond du recours pour excès de pouvoir. Pour obtenir une telle suspension, deux conditions doivent être réunies : d’une part, une urgence justifiant l’arrêt immédiat de la décision contestée, et d’autre part un doute sérieux quant à la légalité de cette décision (c’est-à-dire un moyen de droit susceptible de conduire à son annulation).

En novembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes rejette la demande de suspension de l’étudiante. Dans son ordonnance du 13 novembre 2024, le juge considère qu’aucun des moyens invoqués (arguments juridiques soulevés par l’étudiante) n’est de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la sanction. Autrement dit, selon le juge de première instance, même si l’urgence de la situation de l’étudiante pouvait être admise, ses arguments n’étaient pas assez probants pour estimer que la décision d’exclusion était possiblement illégale.

L’étudiante, estimant cette décision injustifiée, se pourvoit en cassation devant le Conseil d’État. Le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative en France, est compétent pour examiner l’ordonnance du juge des référés afin de vérifier si celui-ci n’a pas commis d’erreur de droit. L’affaire est instruite rapidement compte tenu de son caractère urgent, et aboutit à la décision n° 499277 rendue par le Conseil d’État le 9 mai 2025 (publiée sous la référence CETATEXT000051577121). Cette décision, commentée ici, annule l’ordonnance du tribunal administratif et suspend la sanction disciplinaire. Au-delà du cas particulier, l’arrêt du Conseil d’État apporte d’importantes précisions de droit public en matière de contentieux administratif disciplinaire : il clarifie la procédure applicable aux sanctions universitaires et renforce les droits de la défense des étudiants justiciables.

Le raisonnement du Conseil d’État

Un contexte juridique nouveau pour les sanctions universitaires

En préambule de son analyse, le Conseil d’État rappelle le contexte légal récent encadrant les sanctions disciplinaires dans les universités. Avant 2019, les décisions des sections disciplinaires universitaires (compétentes pour sanctionner les étudiants, qualifiés usagers du service public universitaire) étaient considérées comme des décisions juridictionnelles internes : elles pouvaient faire l’objet d’un appel devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) statuant en matière disciplinaire.

Cependant, la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a modifié l’article L.811-5 du Code de l’éducation et supprimé explicitement cette voie d’appel. Désormais, les sections disciplinaires statuent en premier et dernier ressort au sein de l’Université.

En l’absence de toute voie de recours spécifique prévue par le Code de l’éducation (ni la loi de 2019 ni le décret n° 2020-785 du 26 juin 2020 sur la procédure disciplinaire n’organisent d’appel interne), les décisions disciplinaires prises par ces instances sont des actes administratifs susceptibles d’un recours contentieux classique. Le Conseil d’État confirme ainsi que les sanctions infligées aux usagers par les sections disciplinaires doivent être contestées devant le tribunal administratif par un recours pour excès de pouvoir, le juge administratif exerçant son office normal de contrôle de la légalité de ces décisions. Ce rappel est important pour les justiciables : une sanction universitaire n’est pas gravée dans le marbre et peut être attaquée directement devant le juge administratif, comme toute décision administrative individuelle.

Le droit de se taire dans le cadre disciplinaire à l’université et plus généralement pour les agents et usagers du service public

Le Conseil d’État examine ensuite les moyens juridiques soulevés par l’étudiante pour contester la légalité de la procédure disciplinaire. Un premier argument portait sur le droit de se taire, c’est-à-dire le droit de ne pas s’auto-incriminer lors de la procédure. Ce droit, bien connu en matière pénale, a récemment été reconnu comme devant s’appliquer également en matière disciplinaire. En effet, le Conseil constitutionnel, dans une décision de décembre 2023, a déduit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (article 9 – « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. ») que « nul n’est tenu de s’accuser» et que cette garantie vaut pour « toute procédure de sanction ayant le caractère d’une punition, y compris les sanctions administratives». Par la suite, le Conseil d’État – dans un arrêt de Section du 19 décembre 2024 – a intégré ce principe en droit administratif : il a jugé que tout agent public poursuivi disciplinairement doit être informé, avant sa première audition, de son droit de se taire pendant toute la procédure.

Cette exigence, qui constitue un droit de la défense fondamental, s’étend de la même manière aux usagers du service public faisant l’objet de sanctions. Autrement dit, une étudiante visée par une procédure disciplinaire ne peut être entendue sur les faits qu’on lui reproche sans avoir été préalablement informée qu’elle a le droit de garder le silence.

Cependant, le Conseil d’État encadre les conséquences d’une éventuelle violation de ce droit.

Déjà en 2024, il avait précisé que le défaut d’information sur le droit de se taire n’entraîne pas automatiquement l’annulation de la sanction. Il faut, pour que l’illégalité soit constituée, que la sanction prononcée « repose de manière déterminante sur des propos tenus par l’intéressé alors qu’il n’avait pas été informé de ce droit». Cette règle de bon sens vise à éviter qu’une omission purement formelle n’annule une décision si, par exemple, la personne gardait de toute façon le silence ou si la sanction est fondée sur d’autres éléments de preuve indépendants de ses déclarations.

Dans le cas présent, il était constant que l’étudiante n’avait été informée à aucun moment de son droit de se taire durant la procédure disciplinaire. Il y avait donc là une irrégularité procédurale au regard des exigences nouvelles du droit disciplinaire. Néanmoins, le Conseil d’État relève que la décision d’exclusion contestée ne s’appuyait sur aucune déclaration ou aveu de l’étudiante elle-même. Autrement dit, le fait de ne pas l’avoir informée de son droit au silence n’a pas eu de conséquence concrète sur la décision, puisque cette décision ne reposait pas sur ce qu’elle aurait pu dire. Dans ces conditions, le juge des référés de première instance était fondé à estimer que ce moyen n’était pas, à lui seul, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la sanction. Le Conseil d’État confirme donc que le premier juge n’a pas commis d’erreur de droit en écartant l’argument tiré de la méconnaissance du droit de se taire.

Des vices de procédure graves : droit à un conseil et délai de préparation

Le Conseil d’État se penche ensuite sur d’autres manquements invoqués par l’étudiante, cette fois relatifs au non-respect de garanties procédurales prévues par le Code de l’éducation. Ces manquements constituent des violations des droits de la défense susceptibles d’entacher la légalité de la décision disciplinaire.

D’une part, lorsqu’elle a été informée par courrier des incriminations disciplinaires portées contre elle, l’étudiante n’a pas été avisée de son droit d’être assistée ou représentée par un défenseur de son choix. Or, l’article R.811-27 du Code de l’éducation impose que la notification des griefs mentionne expressément que l’étudiant mis en cause peut se faire assister ou représenter par un conseil (par exemple un avocat). Ce droit de se faire assister est une garantie essentielle pour équilibrer les armes entre l’administration et le justiciable : il permet à l’étudiant d’être aidé par un conseil dans la préparation de sa défense. En l’espèce, cette mention obligatoire a été omise dans le courrier de convocation daté du 24 juillet 2024, ce qui constitue un vice de procédure clair.

D’autre part, l’étudiante n’a pas bénéficié du délai minimal de 15 jours pour préparer sa défense avant la séance disciplinaire, comme l’exige l’article R.811-31 du Code de l’éducation. Ce texte prévoit qu’un étudiant convoqué devant la commission de discipline doit recevoir sa convocation au moins quinze jours avant la date de la séance, afin de lui laisser un temps suffisant pour consulter le dossier, réunir des éléments et organiser sa défense (éventuellement avec son conseil). Or, dans l’affaire en question, la commission de discipline était fixée au 27 septembre 2024, mais la lettre de convocation, bien que datée du 10 septembre, n’a été effectivement envoyée que le 17 septembre et remise le 19 septembre à l’étudiante. Elle n’a donc disposé que de huit jours pour se préparer, au lieu des quinze jours réglementaires. Cette communication tardive l’a privée d’une partie des garanties procédurales prévues pour assurer une défense équitable.

Le Conseil d’État juge que ces deux manquements – absence d’information sur la possibilité de se faire assister et non-respect du délai de convocation – sont des irrégularités substantielles. Contrairement au droit de se taire, où l’impact concret doit être vérifié, ici la méconnaissance de dispositions claires du Code de l’éducation constitue en soi une atteinte aux droits de la défense de l’étudiante. Le non-respect de ces règles de procédure affaiblit nécessairement la capacité du justiciable à se défendre et entache la régularité de la décision finale.

En conséquence, le Conseil d’État estime que le moyen tiré de ce que la sanction a été prise au terme d’une procédure irrégulière (méconnaissance des articles R.811-27 et R.811-31 du Code de l’éducation) est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision disciplinaire. Autrement dit, aux yeux du juge de cassation, il y a de fortes chances que la sanction soit illégale du fait de ces vices, ce qui justifie d’ores et déjà une intervention en urgence.

Urgence et conséquences de l’arrêt

Ayant établi que l’argumentation de l’étudiante révélait une illégalité probable de la sanction (condition du « doute sérieux » remplie), le Conseil d’État apprécie également la condition d’urgence. Selon la jurisprudence administrative, l’urgence est caractérisée lorsque l’exécution de l’acte contesté porte une atteinte grave et immédiate à la situation du requérant, à l’intérêt public, ou aux intérêts qu’il entend défendre. Le juge des référés doit évaluer concrètement si les effets de la décision litigieuse créent une situation d’urgence justifiant une suspension sans attendre le jugement au fond.

Dans le cas présent, l’urgence était manifeste du point de vue de l’étudiante : sa suspension de l’université l’empêchait de poursuivre son année universitaire normalement. Chaque mois perdu compromettait sa scolarité et son avenir académique. En face, l’université invoquait l’intérêt public : elle faisait valoir que les faits reprochés (survenus en novembre 2023) avaient provoqué du trouble à l’ordre public et porté atteinte à la réputation de l’établissement, ce qui justifierait selon elle de maintenir la sanction immédiate. Le Conseil d’État écarte cet argument : il note que ces troubles sont anciens (plusieurs mois avant) et qu’aucun impératif d’ordre public actuel ne s’oppose à la réintégration provisoire de l’étudiante. Autrement dit, suspendre l’exécution de la sanction en attendant le jugement ne met pas en danger l’intérêt général à ce stade. L’urgence est donc retenue, puisque la décision porte une atteinte grave à la situation de l’intéressée (son droit à l’éducation, à la continuité de ses études) sans qu’un intérêt public prépondérant ne justifie de la priver immédiatement de ce droit.

Remplissant ainsi les deux conditions du référé suspension – urgence et doute sérieux – le Conseil d’État infirme la décision du tribunal administratif. Par son arrêt du 9 mai 2025, il prononce d’une part l’annulation de l’ordonnance du 13 novembre 2024 du juge des référés de Nantes, et d’autre part il ordonne la suspension de l’exécution de la décision disciplinaire du 27 septembre 2024. Concrètement, cela signifie que l’exclusion de l’étudiante est mise en attente : elle doit être réadmise à l’université en attendant que le tribunal administratif statue au fond sur la légalité de la sanction. Le Conseil d’État règle lui-même l’affaire au titre de l’article L.821-2 CJA (pouvoir du juge de cassation de statuer au fond dans l’intérêt d’une bonne justice) sans renvoyer l’affaire devant le tribunal, ce qui gagne du temps pour l’intéressée.

Apports jurisprudentiels importants de la décision

Au-delà du dénouement favorable à la requérante, cette décision du Conseil d’État apporte plusieurs précisions jurisprudentielles notables en droit administratif.

  • Confirmation de la justiciabilité des sanctions universitaires : Le Conseil d’État entérine clairement le fait que les décisions disciplinaires concernant les étudiants relèvent du contrôle du juge administratif via le recours pour excès de pouvoir. C’est une conséquence directe de la réforme de 2019, mais l’arrêt la met en lumière pour la première fois au niveau du contentieux des référés. Les étudiants sanctionnés ne sont plus renvoyés vers une instance d’appel interne (CNESER) : ils ont immédiatement accès au juge administratif pour contester une sanction, comme n’importe quelle décision administrative. Cette clarification était attendue pour dissiper le flou qui aurait pu exister pendant la période de transition post-2019.
  • Portée du droit de se taire en matière disciplinaire : S’inscrivant dans le sillage du Conseil constitutionnel et de sa propre décision de 2024, le Conseil d’État réaffirme que le droit au silence fait partie intégrante des droits de la défense dans toute procédure disciplinaire à caractère punitif. L’apport de l’arrêt du 9 mai 2025 est de l’étendre explicitement aux usagers du service public (ici, un étudiant), alors que la décision de 2024 concernait un agent public (magistrat). Désormais, l’obligation d’information préalable du droit de se taire vaut tant pour les fonctionnaires que pour les étudiants, les usagers et plus généralement toute personne passible d’une sanction administrative. C’est une consécration importante du parallélisme entre contentieux pénal et contentieux administratif disciplinaire sur ce point de procédure. Par ailleurs, l’arrêt confirme l’atténuation apportée à ce droit : l’omission de l’information n’entache la légalité de la sanction que si celle-ci s’est fondée de manière décisive sur les déclarations de la personne poursuivie. Cette réserve jurisprudentielle, introduite en 2024, est ici appliquée concrètement et permet d’éviter des annulations « automatiques » pour vice purement formel. Le message est équilibré : le droit de se taire est essentiel, mais son omission ne sauvera une sanction que s’il y a eu un préjudice réel pour la défense du justiciable.
  • Renforcement des exigences de procédure régulière : En sanctionnant l’absence d’information sur le droit à un conseil et le non-respect du délai de convocation, le Conseil d’État montre une grande vigilance quant au respect scrupuleux des règles procédurales dans le contentieux disciplinaire. Ces exigences, codifiées dans le Code de l’éducation depuis 2020, sont élevées au rang de garanties fondamentales. L’arrêt pose ainsi un précédent : un manquement à ces droits procéduraux (défaut d’information sur la faculté de se faire assister, ou convocation tardive ne laissant pas 15 jours de préparation) constitue un moyen sérieux d’annulation d’une décision disciplinaire. Cela s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence administrative attachée aux droits de la défense (principe général du droit). Le Conseil d’État rappelle ici que dans le cadre d’un contentieux administratif disciplinaire, la procédure compte autant que le fond : une sanction même justifiée sur le fond peut être annulée si la procédure qui a conduit à son prononcé a méconnu les droits de la personne concernée. Ce rigorisme jurisprudentiel incitera sans aucun doute les établissements publics (universités et autres instances disciplinaires) à mieux respecter le formalisme légal, sous peine de voir leurs décisions censurées.
  • Précisions sur l’urgence en référé : Bien que reposant sur des principes établis, la décision illustre l’appréciation concrète de l’urgence en référé administratif. Elle rappelle que l’urgence s’apprécie objectivement, in concreto, en balançant l’atteinte aux droits du requérant et la protection de l’intérêt public. L’arrêt du 9 mai 2025 montre qu’interrompre les études d’un étudiant constitue une atteinte grave et immédiate à sa situation personnelle, justifiant une intervention du juge des référés, sauf urgence contraire pour l’intérêt général qui n’est pas démontrée ici. Cet exemple pourra être transposable à d’autres situations de suspension d’un droit essentiel (droit à la formation, à un revenu, etc.) face à une décision administrative : il éclaire les justiciables sur ce qu’il faut mettre en avant pour caractériser l’urgence (impact concret, irréversible, pas de préjudice excessif pour la collectivité en cas de suspension).

En somme, l’arrêt du 9 mai 2025 marque une étape significative dans la protection des droits des justiciables en matière disciplinaire. Il montre qu’un contentieux administratif bien argumenté peut aboutir à l’annulation ou la suspension d’une décision administrative injuste. La motivation des décisions, le respect des procédures et des droits fondamentaux ne sont pas de vains principes : ils conditionnent la validité des actes et offrent aux citoyens une voie de recours effective en cas d’abus ou d’erreur de l’administration.

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